Le professeur comme architecte de l’apprentissage émotionnel et relationnel (Étude)

Dans l’éducation contemporaine, le professeur n’est plus seulement un transmetteur de savoirs : il devient un architecte de l’apprentissage émotionnel et relationnel, c’est-à-dire un professionnel capable de reconnaître, d’orienter et de valoriser les émotions pour favoriser le développement global de l’élève. Comme le souligne Daniel Goleman, « l’intelligence émotionnelle n’est pas l’opposé de l’intelligence, mais l’intersection des deux ».

Les émotions influencent l’attention, la mémoire, la motivation et la relation pédagogique ; elles conditionnent donc la réussite et l’engagement des apprenants. À travers ce travail, nous examinerons comment le professeur construit un climat émotionnel et relationnel propice aux apprentissages, en mobilisant les théories contemporaines de l’intelligence émotionnelle et des exemples pratiques d’enseignement du FLE.

Fondements théoriques : l’intelligence émotionnelle en contexte éducatif

Le concept d’intelligence émotionnelle, proposé par Salovey et Mayer (1990), renvoie à la capacité de « surveiller ses propres émotions et celles des autres, de les discriminer et de les utiliser pour guider la pensée et l’action » Goleman (1995) a ensuite montré que l’IE représente environ 80 % de la réussite personnelle et professionnelle, rappelant que les compétences socio-émotionnelles sont tout aussi déterminantes que l’intelligence cognitive.

Dans l’éducation, Claeys Bouuaert (2012) affirme que « l’éducation émotionnelle n’est pas un supplément de l’éducation cognitive, mais sa condition humaine fondamentale » Ainsi, les émotions structurent profondément l’apprentissage : elles orientent l’attention, facilitent la mémorisation durable et soutiennent la motivation intrinsèque. L’enseignant doit alors comprendre et intégrer ces mécanismes pour créer un environnement propice au développement émotionnel, linguistique et social de ses élèves.

Le professeur comme architecte de l’apprentissage émotionnel

Le professeur architecte émotionnel reconnaît, nomme, régule et valorise les émotions comme ressources pédagogiques. Estelle Riquois (2018) montre que solliciter les émotions positives renforce l’engagement et facilite la mémorisation.

Dans cette perspective, le professeur :

  • crée un climat de sécurité affective, diminuant la peur de l’erreur et l’anxiété linguistique ;
  • pratique une écoute active et empathique, indispensable pour comprendre les besoins individuels ;
  • encourage l’expression authentique des émotions ;
  • modélise la régulation émotionnelle à travers sa posture, son langage et sa cohérence.

Ainsi, l’enseignant agit comme un régulateur affectif, capable de transformer les émotions négatives (stress, frustration, inhibition) en leviers d’apprentissage.

Pour aller plus loin, le professeur architecte émotionnel analyse également les signaux non verbaux — posture, regard, hésitation — qui révèlent l’état intérieur des apprenants. Il ajuste alors son discours, son rythme ou la difficulté des tâches pour maintenir un équilibre affectif propice à la réussite. Par exemple, face à un élève anxieux, il peut proposer une reformulation rassurante ou une activité en binôme pour réduire la pression. De même, il valorise systématiquement les progrès, même minimes, afin de renforcer l’estime de soi. En intégrant des moments de respiration, de recentrage ou de réflexion émotionnelle, il aide les élèves à développer une véritable compétence d’autorégulation, indispensable à l’apprentissage linguistique durable.

Le professeur comme architecte de l’apprentissage relationnel

L’intelligence émotionnelle est intimement liée à la compétence relationnelle. Rémon & Privas-Bréauté (2018) soulignent que la confiance en soi et la reliance émotionnelle entre enseignants et apprenants représentent les moteurs essentiels de l’apprentissage linguistique. L’enseignant architecte relationnel :

  • développe la coopération par des activités de groupe, des rôles distribués et des responsabilités partagées ;
  • encourage l’empathie entre pairs par des échanges, des reformulations et du feedback constructif ;
  • instaure une communication authentique, respectueuse et non violente ;
  • valorise les réussites individuelles et collectives afin de renforcer l’estime de soi.

Dans ce cadre, la classe devient une microsociété où l’élève apprend à interagir, à comprendre l’autre et à se positionner de manière constructive.

En outre, le professeur veille à construire une dynamique de groupe harmonieuse où chaque voix compte. Il intervient pour prévenir les rapports de force, les situations d’exclusion ou les malentendus, en encourageant la médiation et la parole partagée. Par des tâches collaboratives bien structurées, les élèves apprennent à négocier, à écouter activement et à accepter des points de vue divergents. L’enseignant valorise la solidarité et soutient les élèves plus réservés en leur offrant des occasions progressives de participation. Cette gestion relationnelle transforme la classe en un espace d’apprentissage social, où la coopération et le respect deviennent des compétences aussi essentielles que les savoirs linguistiques eux-mêmes.

Applications pédagogiques : approfondissement

L’intégration de l’intelligence émotionnelle dans l’enseignement du FLE nécessite une approche complète, continue et intentionnelle. Les pratiques pédagogiques présentées dans le document — telles que la météo des émotions, les discussions réflexives ou les role-play — constituent un ensemble d’outils précieux permettant d’ancrer les émotions dans les apprentissages linguistiques et relationnels.

Rituels émotionnels structurés. L’instauration de rituels émotionnels au début et à la fin de la séance constitue un cadre sécurisant. Le professeur peut proposer :

  • un mini « cercle de parole » ;
  • une échelle visuelle d’émotions ;
  • une phrase d’auto-positionnement (Aujourd’hui je me sens… parce que…).

Ces micro-activités diminuent l’anxiété, renforcent la disponibilité cognitive et favorisent la cohésion du groupe. Claeys Bouuaert (2012) souligne que l’éducation émotionnelle se construit par la répétition de micro-situations de verbalisation et de régulation.

Activités d’expression orale centrées sur l’affectif. L’enseignant encourage la prise de parole en français à travers des tâches significatives :

  • raconter un souvenir joyeux ou stressant ;
  • décrire un lieu associé à une émotion forte ;
  • exprimer un obstacle intérieur ou une réussite personnelle.

Riquois (2018) précise que la prise de parole est facilitée lorsque l’élève se sent en sécurité affective et stimulé par des émotions positives
Ces activités développent spontanément le lexique émotionnel et améliorent la fluidité.

Projets coopératifs et intelligence collective. Les projets de groupe — affiches, vidéos, podcasts, saynètes — mobilisent la communication, la négociation et la gestion des émotions en situation réelle. Rémon & Privas-Bréauté (2018) rappellent que la relation émotionnelle authentique entre les élèves constitue le moteur de l’apprentissage des langues.

Supports artistiques et réactions émotionnelles. Les contenus artistiques (poèmes, films, chansons) suscitent des émotions spontanées qui deviennent des points d’appui pour :

  • analyser un message ;
  • débattre d’un point de vue ;
  • exprimer empathie ou désaccord.

Jeux de rôles empathiques et gestion des conflits. Le role-play est un instrument central pour développer :

  • l’empathie,
  • la compréhension des perspectives diverses,
  • la gestion des conflits,
  • la régulation des émotions difficiles.

Conclusion

En définitive, considérer le professeur comme architecte de l’apprentissage émotionnel et relationnel revient à reconnaître la dimension profondément humaine du processus éducatif. Loin de se limiter à la transmission de savoirs linguistiques, l’enseignant façonne un environnement où chaque élève peut se sentir compris, valorisé et soutenu dans son développement intégral. En mobilisant l’intelligence émotionnelle, il favorise la résilience, l’autonomie affective, l’ouverture à l’autre et la coopération. Dans ce cadre, les apprentissages deviennent plus durables, plus authentiques et plus significatifs. Ainsi, l’éducation émotionnelle n’est pas une option, mais un pilier fondamental qui transforme la classe en un véritable espace de croissance personnelle et collective.

Bibliographie
• Bouuaert, Michel Claeys. L’éducation émotionnelle de la maternelle au lycée., 2012.
• Coutrillon, Janine. Élaborer un cours de FLE. Hachette, 2003.
• Goleman, Daniel. Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ. Bantam Books, 1995.
• Rémon, Joséphine & Privas-Bréauté, Virginie. Confiance, reliance et apprentissage des langues dans l’enseignement supérieur. APLIU, 2018.
• Riquois, Estelle. Faciliter la prise de parole en classe : supports, activités et gestion de l’espace., 2018.
• Salovey, Peter & Mayer, John. Emotional Intelligence., Imagination, Cognition and Personality, 1990.

 

prof. Otilia Bengescu

Liceul Tehnologic General Ioan Culcer, Târgu Jiu (Gorj), România
Profil iTeach: iteach.ro/profesor/otilia.bengescu