La langue incarne et reflète la civilisation qui l’a engendrée et qu’elle véhicule. La langue est un produit de la vie sociale qui donne corps à une certaine expérience humaine, à une certaine vision humaine. Les Esquimaux ont par exemple une dizaine de mots pour désigner la neige – selon ses états – tandis que les peuples équatoriaux ont du mal à imaginer que cela puisse exister, et encore dans une telle variété. On considère que la langue et la culture constituent ensemble l’identité d’un pays, l’ensemble des traits qui l’individualisent. C’est déjà un lieu commun que d’affirmer cela. Nous savons bien que la langue tout comme la question de l’identité nationale comportent bien des subtilités et des situations qui rendent les choses plus compliquées qu’on ne l’aurait pensé.
Une langue, telle le français par exemple, peut être parlée de façon courante dans plusieurs pays. Elle va donc participer à plusieurs identités nationales. II suffit de penser à ce sujet aux ex-colonies de la France. Il existe aussi des pays où l’on parle plusieurs langues à la fois, dont le français. Il peut donc exister des pays dont l’identité nationale est plurilingue. Nous n’allons ici qu’effleurer la question de l’apparition d’un nouveau type d’identité – l’identité supranationale dans le cas de l’Europe, identité à laquelle participent toutes les identités nationales des pays constituants.
Nous allons nous arrêter pour ce qui est de cette étude à l’assertion la plus généralement acceptée, selon laquelle la langue et la civilisation constituent un tout inextricable – l’identité d’un pays. La langue et la civilisation semblent si profondément, si intimement imbriquées l’une dans l’autre qu’il est pratiquement impossible de les séparer. La séparation pédagogique de la langue d’avec la culture existe et cela parce que „la langue peut exister, et existe bel et bien, d’une façon autonome” (M. Byram, 1992:66). Nous pensons, à la différence de Michael Byram, que cette séparation a ses origines dans une conception purement utilitariste de l’enseignement/apprentissage de la langue étrangère. Les langues étrangères les plus utilisées comme langues internationales sont à notre avis les plus susceptibles d’être envisagées, hélas, uniquement en tant que codes dont la seule finalité est de faciliter la communication entre des gens issus de cultures différentes.
La langue étrangère est vraisemblablement plus qu’un moyen de communication et pour qu’il y ait une communication véritable les utilisateurs de la langue étrangère doivent en maîtriser aussi la composante culturelle. Elle est aussi une voie d’accès à d’autres formes de pensée, à d’autres modes de raisonnement. La connaissance d’une langue étrangère favorise, vu sa composante culturelle, l’étude de la civilisation étrangère. L’étude de la civilisation étrangère contribue à l’apprentissage de la langue étrangère par le regain d’intérêt, de motivation qu’elle lui apporte. La compétence linguistique se trouve améliorée par la compétence culturelle de l’apprenant.
Malheureusement, beaucoup d’enseignants de langues vivantes estiment „trop hâtivement que l’enseignement de la langue conduira naturellement à l’apprentissage d’éléments culturels” (Byram, 1992:34). Nous pensons qu’un apprentissage de la culture étrangère a lieu aussi lorsqu’on envisage l’étude d’une civilisation étrangère de cette façon. Cet apprentissage, il faut le reconnaître, risque fort d’être éclectique, non structuré et donc inefficace, voué à l’échec. Il faut donc absolument que l’enseignement de la civilisation étrangère se fasse de façon programmée, systématique afin de dispenser un savoir solide et fiable.
M. Byram (1992:179) propose un „modèle de formation en langue étrangère” qui comprend quatre volets (1. apprentissage de la langue; 2. prise de conscience de la langue; 3. prise de conscience de la culture; 4. expérience de la culture). Ce modèle prend en compte les éléments civilisationnels et en fait une partie composante de l’enseignement de la langue étrangère, ce qui prouve que l’étude de la langue étrangère doit être associée à une étude de la civilisation étrangère. Et cela aussi parce que „les mots d’une langue étrangère renvoient à des significations à l’intérieur d’une culture donnée, créant ainsi une relation sémantique que l’apprenant doit comprendre” (ibid., p. 18). Les mots ont „une composante naturelle (expérience commune) et une composante culturelle (des éléments spécifiques selon le lieu et le temps)” (Pottier, 1992:72, c’est l’auteur qui souligne). Voilà pourquoi Georges Mounin (1976:44) considère que pour „comprendre le latin” (nous dirions pour comprendre toute langue étrangère) il faut „connaître les mots latins, la grammaire latine, mais aussi… les réalités de la vie latine… à laquelle ces mots nous renvoient”. II s’ensuit que lorsqu’on enseigne une langue étrangère, il faut aussi enseigner la civilisation qui l’a engendrée sous peine de présenter la langue comme un code artificiel.
Il arrive lors de l’enseignement d’une civilisation étrangère que l’enseignant insiste sur les différences entre la culture maternelle des apprenants et la culture étrangère. Il ne faut quand même pas ignorer que les civilisations ont des contacts, des échanges qui ont entraîné le partage, la mise en commun d’éléments civilisationnels. Cela ne veut pas dire que les civilisations n’ont plus gardé des traits qui les caractérisent, mais qu’il existe aussi des points communs même dans le cas des civilisations étrangères.
Bibliographie
Byram, M., 1992, Culture et éducation en langue étrangère, Paris, Crédif, Hatier/Didier, Collection Langues et Apprentissage des langues
Mounin, G., 1976, Linguistique et traduction, Bruxelles, Editeurs Dessart et Mardaga, Collection Psychologie et sciences humaines
Pottier, B., 1992, Sémiotique générale, Paris, PUF, Linguistique nouvelle
Zarate, G., 1993, Représentations de l’étranger et didactique des langues, Paris, Collection CREDIF Essais, Didier