Le comique – stratégie pédagogique

Les spécialistes ont établi que les adultes rient en moyenne moins de vingt fois par jour, tandis que les jeunes ont la capacité de rire spontanément très facilement (thérapie par le rire). Voilà une raison importante pour reconsidérer la place de l’humour dans la classe de FLE en faveur de l’enseignant.

Suite aux recherches du « Collège invisible » de Palo Alto, la communication est investie d’un nouveau concept que les recherches de Dell Hymes ont imposé au domaine de la didactique des langues : la notion de « compétence de communication ». Elle désigne la transmission adéquate d’un message (verbal ou non) échangé entre des sujets dans une situation sociale donnée.

En didactique des langues, la communication acquiert des nuances particulières, car elle implique plus que la transmission d’un message d’un émetteur à un récepteur  par un canal mais met l’accent justement sur l’effet que ce message produit sur le récepteur. On souligne donc  l’implication active de ce dernier, l’interprétation du message reçu s’avère être très importante.

Les sociologues affirment que le groupe se forme ou se confirme grâce au caractère social du rire (Defays, 1996 : p. 64-66) et alors pourquoi ne pas utiliser le comique comme stratégie pédagogique ? Le comique peut être utilisé donc en classe de FLE dans n’importe quel moment de la leçon, comme déclencheur, comme effet ou conséquence dans le processus d’enseignement-apprentissage-évaluation.

En prenant en compte la compétence de communication plurilingue et pluriculturelle, l’enseignant de langue sait qu’une approche seulement linguistique est insuffisante et que la dimension non verbale est absolument nécessaire pour maîtriser les échanges avec l’étranger. Surtout que la communication non verbale fait plutôt usage d’un canal visuel, visant des aspects kinésiques – gestualité, proxémiques –  organisation de l’espace interpersonnel et la parure – vêtements, bijoux, maquillage etc., d’un canal tactile, visant des aspects haptiques – le toucher, et le canal olfactif- l’odorat.

On se pose alors la question si l’enseignant doit  être un expert en communication non verbale et enseigner toutes les catégories de gestes présentés dans le sous-chapitre précédent. Bref, on se pose le problème de l’adaptation de cet enseignement au besoin des apprenants, plus précisément au moment de l’apprentissage d’une langue étrangère où cette approche est vraiment désirable.

D’après Arnaud (2008 : p. 178) il existe cinq paramètres d’ordre affectif, que nous considérons être en même temps appartenir aux fonctions du comique : l’implication, l’extraversion et la spontanéité (vs introversion), le fait d’être à l’aise en classe (vs anxiété), la cohésion de groupe et la convivialité, l’adhésion au professeur.

Nous partageons l’opinion d’Arnaud (2008 : pp. 179-180) concernant le rôle du nonverbal dans les pratiques de classe : d’une part il est « l’élément essentiel permettant d’interpréter les données », d’autre part il est perçu comme « l’élément difficile à saisir, risquant de fausser l’observation ». Cette auteure a bien décrit les différents canaux de communication et les modalités dans un schéma comportemental verbal et nonverbal que nous reproduirons ci-dessous, en le considérant fort utile à tout enseignant qui veuille vérifier ses comportements ou ceux de ses apprenants :
«Pour l’apprenant
1) Comportement vocal paralinguistique :
a) ton de la voix : enjoué, enthousiaste (vs monotone, morne); intensité de la voix: parle fort ou parle bas ;
b) bâillements ;
c) rires (non nerveux vs nerveux et non moqueurs) ;
2) Comportement kinésique :
a) les mouvements corporels : mobilité (se lever, changer de place, etc.) vs immobilité ;
b) l’expression faciale ouverte vs fermée; détendue vs tendue, anxieuse; l’élève rougit, baisse la tête; sourire, expression bienveillante de sympathie ;
c) le regard (alerte, mobile vs morne, fixe); regardant indifféremment l’enseignant ou les pairs vs tourné vers le professeur, regardant fixement devant soi ou le livre ;
d) la position corporelle : détendue, décontractée vs tendue, crispée; indiquant la fatigue; tournée vers les apprenants, tournée vers le professeur.
Pour l’enseignant
1) Comportement vocal paralinguistique
a) ton (enjoué, enthousiaste, chaleureux vs monotone, morne; patient, compréhensif vs autoritaire, et/ou intransigeant, irrité, menaçant) ;
b) rires non moqueurs vs moqueurs, ironiques, sarcastiques ;
2) Comportement kinésique :
a) mouvements corporels : mobilité vs immobilité ;
b) expression faciale : souriante, ouverte vs fermée; bienveillante, de sympathie vs non bienveillante, sérieuse, sévère ; détendue vs tendue ;
c) le regard porté indistinctement sur tous les élèves vs sur certains élèves ;
d) la position corporelle : décontractée, détendue (vs plus ou moins tendue) ;
3) Comportement proxémique : plus ou moins grande proximité par rapport aux élèves».
(Arnaud, 2008 : p. 180)

En ce qui concerne le rire des apprenants, il représente un comportement positif alors quand les apprenants sont capables de rire de leurs propres erreurs, à propos de certains événements de la classe (sans s’en moquer), alors quand le rire répond à une plaisanterie du professeur, alors quand il est déclenché par des situations ou des énoncé comiques etc. On y ajoute le rire ou le sourire de satisfaction ou de soulagement, mais qui ne visent pas du tout le comique. Bergson parle du « rire correcteur », qui a comme but d’inciter l’apprenant à ne pas répéter l’erreur, type de rire que nous considérons très utile. Cependant, on ne peut pas utiliser ces rires qu’après la phase d’adhésion au professeur et au groupe-classe en général, sinon il est possible que les apprenants soient perdus pour toujours. Le professeur peut représenter lui-même une source qui provoque le rire de ses apprenants, soit utilisant une plaisanterie, soit à la faveur des signaux nonverbaux, soit utilisant l’humour, il doit savoir bien « orchestrer le rire du groupe ». Il utilise aussi le « rire moqueur » ou « critique », ou bien le « rire de détente.   (Arnaud, 2008 : pp. 181-192)

Dans son article, L’affectivité et le comportement non verbal en classe de langue étrangère, Arnaud (2008 : pp. 183-188) a analysé les comportements nonverbaux d’une classe d’apprenants et de leurs professeurs. Elle y a confirmé son hypothèse conformément à laquelle « un élève plus détendu en cours aura moins peur de se tromper, prendra davantage la parole et multipliera par conséquent les occasions de pratiquer la LE. Ainsi, le marqueur : expression faciale détendue correspondrait au paramètre : « être à l’aise en classe » ». (Arnaud, 2008 : p. 183)

En ce qui concerne le regard du professeur, Arnaud le considère comme « une porte ouverte » qui invite les apprenants à entrer dans le monde merveilleux de l’apprentissage du français, car « l’implication et l’extraversion de l’élève semblent tout particulièrement influer sur l’acquisition de la langue étrangère. Une étude quantitative mesurant leur association avec certaines compétences linguistiques le montre. Ces deux paramètres influencent en particulier sur l’expression orale, la phonétique et les compétences globales ». (Arnaud, 2008 : p. 191)
Arnaud a découvert que la raison principale pour laquelle l’apprenant est mécontent de la classe est l’ennui. Comme le comique touche l’affectif de l’apprenant, on pourrait dire que l’utilisation du comique comme stratégie pédagogique garantit pour un grand nombre d’apprenants l’éveil d’abord, puis le plaisir d’apprendre le français et finalement l’acquis des connaissances langagières et la projection personnelle dans son apprentissage.

Si la plupart des psychologues et des didacticiens mettent l’affectif sur le même plan que le cognitif, il y a quelques-uns, comme D. Coste, qui considère que le relationel et l’affectif pourrait avoir plus de place en cours de langue étrangère par rapport au cognitif. (Arnaud, 2008 : p. 177)

Par conséquent, la didactique de l’humour doit sortir du systémique pour que l’enseignant et les apprenants rient ensemble, pour que la distance entre eux se diminue. On rit ensemble, on traverse deux ou trois cultures, par le biais du transfert humoristique, on réalise ainsi une meilleure acquisition des compétences chez les apprenants. Mais c’est la tâche de l’enseignant la plus difficile, c’est lui qui doit avoir le sens de l’humour et une bonne imagination afin qu’il réussisse à faire rire ses apprenants. Cela devrait être un défi pour tout enseignant.

Nous voudrions conclure par une citation que nous trouvons fort bonne pour cette fin de chapitre : « pour égayer et améliorer de multiples travaux scolaires, l’humour, si négligé par les psychologues et les éducateurs, le comique doit être inséré à sa place, avec prudence, opportunité et pertinence » (Vial, 1980) et nous y ajoutons qu’il ne doit être considéré ni stratégie miracle, ni stratégie unique dans l’enseignement/ apprentissage du français langue étrangère.

Bibliographie
1. ARNAUD, Christine (2008) : « L’affectivité et le comportement non verbal en classe de langue étrangère », dans Synergies Espagne, pp. 175-194, consulté le 24 août 2013 Arnaud (2008 : p. 178)
2. DEFAYS, Jean-Marc (1996) : Le comique : principes, procédés, processus, Paris,  Éditions du Seuil, coll. Mémo ;
3. BERGSON, Henri (2000) : Le Rire : essai sur la signification du comique, Paris, Presse Universitaire de France ;
4. VIAL, Jean (1980) : « Ziv Avner, L’humour en éducation : approche psychologique », dans Revue française de pédagogie, vol. 53, n° 1, pp. 56-57;
5. Thérapie par le rire,  apprendreaapprendre.com/reussite_scolaire/therapie-par-le-rire-604-8-25.html, consulté le 25 août 2013.

 

prof. Elena Sextilia Solonaru

Colegiul Alexandru cel Bun, Gura Humorului (Suceava) , România
Profil iTeach: iteach.ro/profesor/elena.solonaru

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