La bienveillance de trop

Dans son dernier livre, Messieurs, encore un effort,  Elisabeth Badinter remet en question l’éducation bienveillante (Elisabeth Badinter, Messieurs, encore un effort…, Flammarion Plon, 2024). Le contexte dans lequel la philosophe  évoque ce concept est beaucoup plus large, à savoir la dénatalité. Ce n’est pas, bien évidemment, le sujet de mon article, mais la  lecture, fascinante, m’a faite  comprendre, de manière encore plus claire, une réalité  à laquelle nous nous heurtons quotidiennement dans nos écoles.

Madame Badinter, qui compte aussi parmi les premières théoriciennes féministes, auteure des dizaines d’ouvrages qui ont constitué au fil du temps des repères dans la culture française récente et qui ont été traduits dans de nombreuses langues, explique comment,  devant toutes les injonctions qu’elles entendent de partout, les femmes renoncent à la maternité. Et de  quelles injonctions parle-t-elle ? Les livres et les séminaires dont le marché est inondé nous les répètent sans cesse : en tant que mère il ne faut absolument pas dire non à l’enfant, le contredire ou le contrarier. Par contre, et surtout, il faut être  toujours souriante et de très bonne humeur, toujours impeccable, même après une longue journée de travail et après l’accomplissement  de mille tâches quotidiennes et obligatoires.

En lisant ce livre, je me suis dit que c’est exactement  à ce genre d’exigences qu’un prof doit répondre de nos jours. Au fond,  il s’agit exactement des mêmes impératifs: toujours souriant, toujours sympathique, jamais nerveux, jamais dubitatif, jamais vulnérable.

L’enfant est roi et donc l’élève est roi et, dans cette qualité inouïe, il peut et même il  doit laisser libres  ses humeurs, car c’est lui le fragile, car fragilisé exactement par ce type d’approche qui le protège excessivement mais qui, en réalité, l’empêche de grandir. De toute façon, et on en a de plus en plus la preuve,  il appartient, à la génération « flocon de neige ». Caractérisée notamment par cette chute d’humeur et par le manque  de résistance au stress.

Vous serez, peut-être,  d’accord avec moi que  cette bienveillance sans limites par rapport aux enfants  n’est pas du tout anodine  ni si nous voulons comprendre le phénomène de la fragilité de nos élèves, d’une part, et la pénurie des professeurs, de l’autre.

Toujours pour trouver des réponses, en plus de cette lecture révélatrice,  je voudrais vous proposer  une interview  que vous trouverez sur la chaine YouTube du journal Le Figaro (youtube.com/watch?v=9SHzOKRBh5A&t=6s&ab_channel=LeFigaro).

Durant cet entretien, Marie-Estelle Dupont, psychologue clinicienne française, elle aussi auteurs de plusieurs ouvrages, fait une observation inquiétante : «On est en train de fabriquer une génération de jeunes dépressifs et violents».

Je pense que nous avons tous observé ce profile d’adolescent dans nos classes et on s’est souvent posé la question « pourquoi ? » Qu’est ce qui se passe dans notre monde, mais aussi et surtout dans les familles de nos apprenants pour que, certains d’entre eux, se présentent tellement vulnérables à l’école, donc dans la société ?

L’explication de la spécialiste ? Il s’agit, avant tout, d’une relaxation des limites, de la disparition des cadres fermes, tout cela ajouté  à une baisse alarmante de l’instruction. Or, ce sont des outils qui devraient bâtir solidement les jeunes, qui les aideraient à  faire face à la vie, telle quelle est, non pas celle qu’ils découvrent sur les réseaux sociaux.

Pourquoi ils ne les ont plus, ces outils ? Parce que les parents, les profs, bref, les adultes dans leurs vies, par leur bienveillance excessive et par une tolérance qui rime parfois (ou souvent) avec l’indifférence, les ont encouragés, plus ou moins consciemment  et toujours par souci de ne pas troubler l’enfant, de délaisser ce qui aurait pu les forger et  les préparer pour une existence équilibrée.

Pour boucler, on observe comment cette idéologie très progressiste qui veut qu’on mette l’enfant sur le même plan que l’adulte, ou même au-dessus de celui-ci, doublée d’un manque de repères culturels, de la spiritualité forgée par des arts, de la littérature, des conversations contradictoires mais fondatrices, met le jeune d’aujourd’hui dans une situation de vulnérabilité extraordinaire.

Car l’harmonie dans la vie est souvent le résultat des hauts et des bas, des victoires et des échecs, des rencontres de tout ordre, et surtout de la résistance  devant les difficultés et les contraintes inhérentes à toute existence.

 

prof. Georgiana Ungureanu

Colegiul Național Iulia Hașdeu (Bucureşti) , România
Profil iTeach: iteach.ro/profesor/georgiana.ungureanu1

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