L’argumentation est une compétence langagière et citoyenne essentielle, particulièrement dans l’enseignement du français langue étrangère (FLE). Avec l’essor des technologies, la pédagogie numérique offre de nouvelles perspectives pour développer cette compétence en articulant interaction, médiation et production collaborative. Cet article examine les cadres théoriques (CECR, TPACK, SAMR) et ceux de l’argumentation (Toulmin, Perelman & Olbrechts-Tyteca, Plantin) afin de proposer des scénarios didactiques favorisant la maîtrise de l’argumentation en contexte numérique.
Mots-clés : argumentation, FLE, pédagogie numérique, perspective actionnelle, médiation, interaction en ligne.
1. Introduction
L’argumentation occupe une place centrale dans l’apprentissage du français, car elle mobilise à la fois compétences linguistiques, discursives et cognitives. Le Volume complémentaire du CECR (2020) rappelle que l’apprenant doit pouvoir « justifier un point de vue, développer une ligne de raisonnement et convaincre un interlocuteur ». Aujourd’hui, ces pratiques passent souvent par des environnements numériques, ce qui engage les enseignants à repenser leurs démarches.
Comme le souligne Puren (2014), la didactique du FLE est passée d’une logique transmissive à une logique de co-construction du sens, où l’apprenant devient acteur. Dès lors, la pédagogie numérique n’est pas seulement un usage d’outils, mais un levier pour créer de véritables situations actionnelles (Cuq, 2018) permettant d’apprendre à argumenter en contexte authentique.
2. Cadre théorique
2.1. L’argumentation comme objet d’enseignement
Toulmin (1958) décrit l’argument selon six composantes (claim, data, warrant, backing, qualifier, rebuttal) qui structurent le raisonnement.
Perelman & Olbrechts-Tyteca (1958) insistent sur l’adhésion de l’auditoire et proposent une typologie des arguments (quasi-logiques, analogies, dissociations).
Plantin (2005) inscrit l’argumentation dans une perspective interactionnelle : elle est liée aux débats et aux contextes sociaux.
En didactique du FLE, cela implique de travailler à la fois les outils linguistiques (connecteurs, modalisateurs), les mouvements rhétoriques (thèse, concession, réfutation) et la situation de communication (destinataire, registre, support).
2.2. La pédagogie numérique
Le modèle TPACK (Mishra & Koehler, 2006) insiste sur l’intégration équilibrée des savoirs disciplinaires, pédagogiques et technologiques.
Le modèle SAMR (Puentedura, 2014) propose une progression : substitution, augmentation, modification, redéfinition, permettant de transformer la tâche par le numérique.
Le CECR (2020) inclut désormais descripteurs d’interaction en ligne et de médiation, renforçant l’intérêt du numérique dans l’enseignement de l’argumentation.
3. Enjeux didactiques
Perspective actionnelle : l’argumentation est une action sociale (débattre, négocier, convaincre) déclinée en genres variés (essai, forum, podcast).
Citoyenneté numérique : l’usage du numérique exige des compétences transversales (respect de la nétiquette, validation des sources, gestion du désaccord).
Évaluation : selon Hadj Ali (2017), l’évaluation doit prendre en compte la structure du raisonnement, la pertinence des preuves et l’ouverture à l’altérité.
Accessibilité : les outils numériques offrent supports multimodaux et aides (correcteurs, sous-titres, synthèse vocale), facilitant la différenciation.
4. Scénarios pédagogiques numériques
4.1. Atelier « Toulmin numérique »
Objectif : construire un argument structuré.
Outils : pad collaboratif et gabarit argumentatif.
Activité : par groupes, les apprenants remplissent les rubriques du schéma de Toulmin et reçoivent un feedback croisé.
4.2. Débat en ligne médié
Objectif : développer interaction et médiation.
Outils : forum ou classe virtuelle.
Activité : chaque apprenant propose d’abord une position, puis participe à un débat synchrone en respectant les règles de politesse et de validation des sources.
4.3. Production multimodale
Objectif : redéfinir la tâche argumentative.
Outils : logiciel de mind-mapping, enregistreur audio, plateforme de publication.
Activité : création d’une carte argumentative suivie d’un podcast publié et commenté par les pairs.
5. Conclusion
L’enseignement de l’argumentation à l’aide de la pédagogie numérique dépasse une simple transmission de structures langagières. Il engage les apprenants dans des pratiques sociales authentiques, où produire, réviser et débattre s’effectuent en interaction. En mobilisant à la fois les modèles de l’argumentation (Toulmin, Perelman) et les cadres techno-pédagogiques (TPACK, SAMR), l’enseignant peut favoriser la co-construction du sens et renforcer la citoyenneté numérique.
Comme le rappelle Cuq (2018, p. 211), « enseigner une langue, c’est aussi enseigner à penser et à interagir dans et par cette langue ». Le numérique devient ainsi un vecteur de dynamisme et de collaboration, adapté aux pratiques langagières contemporaines.
Bibliographie
Conseil de l’Europe (2020). Volume complémentaire au Cadre européen commun de référence pour les langues. Strasbourg : Éditions du Conseil de l’Europe.
Cuq, J.-P. (2018). Didactique du français langue étrangère et seconde. Paris : PUF.
Hadj Ali, H. (2017). « L’évaluation de l’argumentation en FLE ». Revue de didactique des langues, 25(2), 45-62.
Mishra, P., & Koehler, M. (2006). « Technological Pedagogical Content Knowledge ». Teachers College Record, 108(6), 1017-1054.
Perelman, C., & Olbrechts-Tyteca, L. (1958). Traité de l’argumentation : La nouvelle rhétorique. Bruxelles : Éditions de l’Université.
Plantin, C. (2005). L’argumentation. Paris : PUF.
Puentedura, R. (2014). « The SAMR model ». Hippasus Blog.
Puren, C. (2014). « De la perspective communicative à la perspective actionnelle ». Les Cahiers pédagogiques, 521, 12-17.
Toulmin, S. (1958). The Uses of Argument. Cambridge : Cambridge University Press.