Les mots-valise – Ambiguïté ou quasi-ambiguïté ?

Le contexte de l’étude est en lien avec le sujet de la thèse de doctorat (Approximation du sens et intercompréhension dans l’acquisition des langues). J’ai choisi les mots-valises parce qu’ils sont un instrument d’approximation du sens, mais ils laissent place à des interprétations relatives en fonction des situations dans lesquelles ils se rencontrent. Le domaine économique est le résultat de nombreux exemples présents dans des études spécialisées, mais aussi dans des écrits qui ne correspondent pas à des normes méthodologiques spécifiques.

Dans ce cas, 6 mots-valises ont été choisis, certains d’entre eux ont des définitions claires, sont inclus dans des discours spécialisés, d’autres n’ont pas de définitions qui les rentrent dans une catégorie et sont utilisés dans des écrits semi-spécialisés. Le public cible est composé de 20 étudiants, 10 étudiants à profil économique et 10 étudiants en philologie. Les hypothèses sont les suivantes :

  • Hypothèse 1 – Les mots-valises n’impliquent pas de malentendus sur le sens ;
  • Hypothèse 2 – Les étudiants en économie identifient plus facilement les bonnes significations des mots-valises que les étudiants en philologie.

Le phénomène de l’approximation du sens ne concerne pas seulement un aspect sémantique, pragmatique, mais peut être trouvé dans des unités lexicales distinctes dans tous les domaines conceptuels. La distinction entre le sens et le sens présente des difficultés selon les zones de transition, et en ce sens, la chercheuse allemande Wiltrud Mihatsch indique des objectifs pour aider à la désambiguïsation:

«Le domaine de l’approximation, c’est-à-dire les moyens linguistiques explicites qui servent à rendre floues les limites catégorielles de l’élément linguistique qu’ils modifient, ne fait pas exception. L’objectif […] est de démontrer à l’aide d’un échantillon de marqueurs d’approximation lexicale du français les zones de transition synchroniques et diachroniques qui lient sens et signification, pragmatique et sémantique. » (Mihatsch, 2009, p. 100)

Un autre phénomène présent dans la présente étude est celui de l’ambiguïté. Robert Martin impose une série de conditions selon lesquelles une peine peut être considérée comme ambiguë :

« Une phrase est ambiguë si elle présente deux ou plusieurs lectures auxquelles correspondent des conditions de vérité au moins partiellement disjointes (mais qui peuvent être en intersection). Le non-dit induit également des ré-interprétation qui se trouvent en intersection. Mais dans le non-dit l’assertion porte sur cette intersection même alors que dans l’ambiguïté l’assertion porte sur l’une ou l’autre des interprétations possibles. » (Martin, 1987, p. 173)

Une autre variable importante est représentée par les mots-valise, qui sont l’outil de travail des participants. Le terme « portmanteau word » inventé par l’écrivain anglais Lewis Carroll. Un seul mot offrant deux significations en même temps, le terme est apparu dans le roman de 1871 De l’autre côté du miroir « portmanteau » est en fait une valise à deux compartiments. D’où l’image métaphorique de la valise de mots. Le mot-valise est source de beaucoup de néologismes.

Les définitions possibles sont les suivants :

  • Grand Dictionnaire terminologique – « Terme simple composé de deux éléments lexicaux réduits, ne conservant que la partie initiale du premier et la partie finale du dernier » ;
  • Site du Centre national de ressources textuelles et lexicales : « Création verbale formée par le télescopage de deux (ou trois) mots existant dans la langue » ;
  • En linguistique – on peut aussi parler d’une haplologie, modification phonétique, dans lequel ils sont supprimés phones ou groupes de phones identiques ou se ressemblant.

L’utilisation des mots-valise est assez restreinte, mais nous pouvons le voir le plus souvent dans la publicité (ex. Progiciel), en politique (ex. Demopublican), en biologie (ex. Tigron). La littérature ne manque pas non plus. Des auteurs établis tels que Victor Hugo, Raymond Queneau et bien d’autres utilisent de tels jeux de mots. Par exemple, Victor Hugo : foultitude en croisant « foule » et « multitude » ; Raymond Queneau : alcoolade en télescopant « alcool » et « accolade ». Les objectifs de l’utilisation de tels mots, du mot-valise, sont : faire un jeu de mots; d’enrichir la langue par des résumés de significations. Bien que nous ayons tendance à considérer que dans le cas du lapsus et dans le cas des mots-valises, il y a ambiguïté de sens, l’approximation est donnée par l’existence contiguë de deux catégories radicalement différentes et ambivalentes.

Les mots-valises sélectionnés pour cette étude de cas sont : Enronomics ; Ideanomics (Greenspan 2001) ; Satisficing (Simon 1947) ; Slumpflation (Merriam Webster online 1974) ; Freakonomics (Levitt & Dubner 2005) ; Crunchonomics. Le mot Enronomics a été formé par les processus suivants : apocope + aphérèse – enron + economics. La signification de ce terme est : technique frauduleuse pour cacher les pertes. Le mot Ideanomics a été formé par les processus suivants : 1er élément intégral + apocope sur le second élément sans segment commun. La signification de ce terme est : période de développement économique favorable. Le mot Satisficing a été formé par les processus suivants : apocope + aphérèse – satisfying + sufficing. La signification de ce terme est : assez bien. Le mot Slumpflation a été formé par les processus suivants : 1er élément intégral + apocope sur le second élément sans segment commun. La signification de ce terme est : un état ou une période de déclin économique combiné et de hausse de l’inflation. Le mot Freakonomics a été formé par les processus suivants : 1er élément intégral + apocope sur le second élément sans segment commun. La signification de ce terme est : les incitations induisent des conséquences inattendues sur les comportements. Le mot Crunchonomics a été formé par les processus suivants : 1er élément intégral + apocope sur le second élément sans segment commun. La signification de ce terme est : crises économiques.

La partie pratique contient un questionnaire qui a été remis aux 20 étudiants participant à l’étude. Ils devaient choisir le sens approprié des mots-valises choisis en fonction de contextes donnés. Les questions étaient fermées, avec trois options de réponse. Afin de vérifier l’exactitude des réponses, 10 points ont été attribués pour chaque question. Ainsi, à la fin du questionnaire, chaque étudiant a pu voir combien de questions il avait répondues correctement et quelle aurait dû être la réponse aux mauvaises. Le questionnaire destiné aux étudiants est le même pour tous les étudiants, mais il est distribué séparément aux étudiants en économie et aux étudiants en philologie afin de pouvoir comparer les réponses. Le questionnaire comprend les questions et réponses suivantes :

  • Pour chaque contexte ci-dessous, choisissez l’option appropriée pour la signification des mots en gras

1. Comment leur entreprise qui est si juste et éthique pratique-t-elle l’Enronomics ?

Économie en RON

Technique frauduleuse pour cacher les pertes

La technique moderne pour économiser de l’argent

2. L’objectif est de déclarer que nous sommes entrés dans l’ère de l’Ideanomics.

Une manière d’exprimer toutes les idées innovantes

L’entreprise fabriquant des machines écologiques

Période de développement économique favorable

3. Le bénéfice de ce mois-ci est Satisficing.

Bonne statistique

Assez bien

C’est motivant

4. Dernièrement, tu ne comprends plus rien. Tout est une Slumpflation.

Un état ou une période de déclin économique combiné et de hausse de l’inflation

Une rupture économique

Une augmentation des bénéfices

5. Au lieu de lui faire du bien, les incitations l’ont rapproché de Freakonomics.

Les incitations vous rendent plus économique

Les incitations induisent des conséquences inattendues sur les comportements

Les stimulants provoquent une folie d’épargne

6. Crunchonomics ont ruiné tout le marché immobilier.

Crises économiques

Pertes de personnel

Fraude économique

 

Suite à l’application du questionnaire, les réponses suivantes ont pu être observées :

  • Le premier terme, enronomics, pose des problèmes aux étudiants en philologie, qui confondent les termes, étant confus dans la façon de former le mot-valise. Les étudiants qui se spécialisent en économie fournissent de bonnes réponses, à l’exception de deux participants qui ont tendance à avoir le premier sens.
  • La deuxième question est également plus ambiguë pour les participants philologiques. Ceux-ci, ainsi que la moitié des participants spécialisées, ne sont pas entièrement faux. Il y a une entreprise qui fabrique des voitures avec ce nom.
  • Le mot-valise utilisé dans la troisième question ne laisse aucune place à l’interprétation. Seuls trois des participants à l’étude choisissent un sens autre que le bon.
  • Pour la quatrième question, le mot-valise concerné ne laisse qu’une demi-place à l’ambiguïté. Je dis cela parce que même les participants qui ont choisi une réponse différente de la bonne avaient à moitié raison, à l’exclusion de l’inflation.
  • Le terme concerné ne laisse aucune place à des interprétations erronées du sens. Tous les participants, quelle que soit la méthode d’analyse qu’ils ont utilisée (soit du point de vue de la structure du mot, soit à partir de notions déjà possédées) ont choisi la bonne option.
  • Le dernier mot-valise pose des problèmes de compréhension du sens aux étudiants de profil économique. Les philologues ont divisé le mot et fait des analogies qui ont conduit au sens propre.

Enfin, en analysant les résultats ci-dessus et en revenant aux hypothèses initialement énoncées, nous pouvons dire que la première hypothèse est réfutée. Quatre mots de valise sur six ciblés dans l’étude posaient des problèmes de compréhension du sens. Les ambiguïtés identifiées avaient pour point de départ les modalités de formation des mots de valise. L’apocope et l’aphérèse étant à la base de la majorité. La seconde hypothèse est confirmée. Il était plus facile pour les étudiants en économie d’identifier le sens correct des mots ciblés. Il y avait très peu de cas où ils avaient de la difficulté à comprendre. Les étudiants en philologie s’en sont mieux sortis que prévu. En conclusion, cette étude peut être étendue à un nombre illimité de mots-valises, de nouveaux domaines de référence peuvent être introduits, ainsi qu’un nombre beaucoup plus important de participants. Et pour conclure dans un espace d’interface, le mot-valise signifie plus que la somme de ses constituants : en dehors des aspects ludiques qui peuvent lui être attachés (Renner 2006 ; Vorger 2015). Il est souvent créé de manière à remplir un vide lexicologique, dans une démarche consciente et volontaire.

Bibliographie
Levitt, Steven, D. & Stephen, J., Dubner, 2005, Freakonomics, Londres : Penguin Books.
Martin, R., 1987, « Flou. Approximation. Non-dit » Cahiers de lexicologie, nr. 50 – 1, p. 165 – 176.
Mihatsch, W., 2009, « L’approximation entre sens et signification: un tour d’horizon » in Entre sens et signification Constitution du sens: points de vue sur l’articulation sémantique-pragmatique, Paris: L’Harmattan.
Renner, V., 2006, « Dépasser les désaccords : pour une approche prototypiste du concept d’amalgame lexical. Le désaccord », Publications de l’AMAES, p. 137–147, Consulté le 20 octobre 2023.
Simon, H., 1997, Administrative Behavior: A Study of Decision-Making Processes in Administrative Organization. 4e éd. New York : The Free Press/Simon & Schuster.
Vorger, C., 2015, « Anthropole, Unithèque, Nespresso et autres mots composites dans l’espace universitaire et urbain de Lausanne », Neologica 9, p. 133–152.

 

prof. Angela Ifrim

Liceul Teoretic Internațional de Informatică (Bucureşti) , România
Profil iTeach: iteach.ro/profesor/angela.ifrim

Articole asemănătoare