La recherche du bonheur dans l’oeuvre d’Albert Camus

L’oeuvre entière d’Albert Camus peut être envisagée sous le signe de la figure mythique de Sisyphe. Sisyphe illustre le visage de l’homme camusien, un homme conscient de l’absurdité de l’existence mais, en même temps, heureux de la vivre. Il erre dans une vie ayant la forme d’un labyrinthe, mais il sait que personne ne peut trouver l’issue, parce que l’issue n’existe pas. Malgré ce fait, il continue le jeu de la recherche, parce que le jeu est beau et étonnant.

«Le bonheur et l’absurde sont deux fils de la même terre. Ils sont inséparables.» (Le Mythe de Sisyphe, p. 165).
«On ne découvre pas l’absurde sans être tenté d’écrire quelque manuel du bonheur.» (ibidem).

Le noyau fondamental de l’oeuvre de Camus est le rapport paradoxal que l’homme établit entre la volonté de bonheur et la conscience de l’absurde. Le fait que l’existence finit par une mort qui s’insinue déjà dès la naissance, ne fait pas de l’homme un être désespéré et résigné. L’absurde est dépassé dans un monde où le bonheur est possible, où chacun peut trouver ses propres raisons d’exister. C’est pourquoi le thème du bonheur n’est jamais séparé du thème de l’absurdité de la mort de l’homme, dans l’oeuvre de Camus. Mais ce qui fait son originalité, c’est le rapport paradoxal: le bonheur est une conséquence de l’absurde.

Un fait qui aurait pu provoquer la douleur, le désespoir, le suicide ou la résignation, engendre la joie, même la frénésie de vivre.

Cela est illustré par la figure de Sisyphe, qui est définie et nuancée chez Camus un peu autrement que dans les autres illustrations du mythe. Il est très important d’envisager les motifs de la punition par les dieux: Homère nous dit que Sisyphe a été puni parce qu’il avait livré les secrets des dieux et parce qu’il avait enchainé la Mort. Une autre source explique la punition par le refus de retourner dans „l’ombre infernale”, après le retour sur la terre pour châtier sa femme. Il a été puni, donc, parce qu’il a préféré la terre et ses joies:
«Bien des années encore, il vécut devant la courbe du golfe, la mer éclatante et les sourires de la terre. Il fallût un arrêt des dieux…» (Le Mythe de Sisyphe, p. 162).

On a compris déjà que Sisyphe est le héros absurde. Il l’est autant par ses passions que par son tourment. Son mépris des dieux, sa haine de la mort et sa passion pour la vie, lui ont valu ce supplice indicible où tout l’être s’emploie à ne rien achever.

«C’est le prix qu’il faut payer pour les passions de cette terre.» (idem, p. 162)

Ce „péché” est commis aussi par l’homme camusien: il préfère les joies simples, sa vie unique, concrète, aux mystéres et aux promessee d’une transcendance illusoire. Cette lucidité et le fait qu’il est conscient de cette vérité lui donne la possibilité de faire un saut vers la seule chose vraie et concrète qu’il possède et qu’il sent: sa vie:

«Si la descente ainsi se fait certains jours dans la douleur, elle peut se faire aussi dans la joie.» (idem, p. 164); il reconnait que le seul lien qui le rattache au monde, c’est la main fraiche d’une jeune fille. (idem, p. 168).

Heureusement, la conscience douloureuse de l’absurde n’aboutit pas au désespoir où à la résignation, mais à la conscience des liaisons étroites avec la terre et le monde.

Mais que signifie le bonheur pour Albert Camus? On doit essayer de détacher sa conception en analysant les Carnets et puis les oeuvres littéraires suivantes, publiées par Camus:

Noces (1939)
L’Étranger (1942)
Le Malentendu (repr. en 1944)
La Peste (1947)
L’Exil et le Royaume (1952)
L’Été (1954)
La Chute (1957)

Les Carnets peuvent être envisagés comme les confessions d’un être qui se définit par une seule force: celle d’aimer et par une vraie passion: celle de vivre pleinement, de tout vivre, passion qui donne un sens à l’existence. Chacun a le droit et le devoir de vivre à sa manière, comme il l’entend.

Dans ses Carnets II (sept. 1937 – avril 1939), Camus parle de la liaison étrange entre le bonheur et le temps, le bonheur étant envisagé comme un effort et une permanente construction:
«Être heureux demande  du temps, beaucoup de temps. Le bonheur est, lui-aussi, une longue patience.» (Carnets II, p. 90)

Mais, paradoxalement, «nous n’avons pas le temps d’être nous-mêmes. Nous n’avons que le temps d’être heureux.» (idem, p. 93)
Ce que  A. Camus nous dit par son oeuvre s’identifie avec la conception sur le bonheur, appartenant à Edgar Allan Poe, qui parle de quatre conditions du bonheur: la vie en consonnance avec la nature, l’amour pour un être, le détachement de n’importe quelle ambition et la création. (idem, p. 134).

La vie apparait donc comme un intervalle où l’homme a le droit et le pouvoir de tout changer, de construire son propre bonheur:
«Dans la période qui se trouve entre la naissance et la mort, rien n’est fixé: on peut changer tout.» (Carnets III, avril 1939 – févr. 1942, p. 174).

Ce qui compte et ce qui reste c’est le fait que le visage du bonheur s’impose comme l’essence de la vie, malgré les souffrances innombrables et permanentes. Camus se pose aussi des questions sur la relation entre le moi et l’autre, entre la solitude humaine et la solidarité:
«Le grand problême qu’on doit résoudre pratiquement: on peut être heureux et, en même temps, seuls» (Carnets IV, janvier 1942 – septembre 1945, p. 246).

On peut être heureux seuls ou les liaisons étroites avec les autres et la communication sont des éléments qu’on ne peut pas ignorer et qui sont essentiels? Cette question est toujours posée dans l’oeuvre de Camus, mais on ne donne jamais une réponse définitive et nette. En tout cas, A. Camus, comme Dostoievski, est sûr „qu’on doit aimer la vie avant d’aimer son sens”. (Carnets VI, avril 1948 – mars 1951, p. 373).

La métaphore du soleil rayonnant, obsession de l’écriture de Camus, est utilisée par l’écrivain dans L’Énigme, pour définir le noyau de sa création et pour se définir lui-même:
«Au centre de notre oeuvre, fût-elle noire, rayonne un soleil inépuisable, le même qui crie aujourd’hui à travers la plaine et les collines.» (L’Énigme, p. 157).

La définition du bonheur comme accord entre l’être et l’existence peut être retrouvée aussi dans Noces:
«Mais qu’est-ce que le bonheur sinon le simple accord entre un être et l’existence qu’il mène? Et quel accord plus légitime peut unir l’homme à la vie sinon la double conscience de son désir de durée et son destin de mort?» (idem, p. 68)

L’homme camusien voit le bonheur comme une chose terrestre, accessible, qu’on peut acquérir en dépassant le conflit entre la conscience et l’existence, conflit qui est la source de la tristesse.

Quand chacun se regarde, il voit que la subjectivité est formée d’une multitude de contradictions: l’existence et le néant, le fini et l‘infini, le temps et l’éternité, la contemplation et l’action, l’instinct de vie et l’instinct de mort.

Quand on découvre ces couples, on a un choc existentiel et la lucidité douloureuse, le sentiment de tristesse sont déclenchés. L’homme qui veut conquérir la plénitude et l’harmonie intérieure réalise son échec, à cause de l’absurdité de la mort.

La vie se déroule, donc, sous le signe du bonheur raté. Mais celui qui a fait l‘expérience du fait que le bonheur n’est pas absolu, fera aussi l’expérience que le malheur non plus n’est pas absolu. Quand il découvre que l’aspiration vers le sens absolu, vers le bonheur absolu se dégrade irrémédiablement en contact avec la réalité, il découvrira aussi que le malheur, lui aussi, se dégrade, la vie l’atténue, l’âme humaine ayant la possibilité de diminuer toujours le malheur.

Si notre destin a une limite, nous pouvons accepter quand même la situation donnée, en faisant de sorte que le malheur originaire diminue, régresse et acquiert une limite; il peut se transformer, paradoxalement, en bonheur.

C’est un bonheur qu’on rencontre chaque jour, dans les choses simples et naturelles, qui se donne à tout le monde, on doit seulement le découvrir dans chaque instant de l‘existence quotidienne. Tout cela se retrouve dans les obsessions des personnages de Camus, l’amour de la nature, de la mer, du soleil et du corps étant les visages du bonheur dans l’oeuvre de Camus.

Bibliographie

Œuvres d’ Albert Camus

Camus, A., La chute, Paris, Editions Gallimard, Collection Soleil, 1956
Camus, A., L’Etranger, Paris, Editions Gallimard, Collection Le Livre de Poche, 1970
Camus, A. Caiete, București, Ed. Univers, 1971
Camus, A., L’été, Paris, Editions Gallimard, 1954
Camus, A., L’Exil et le Royaume, Paris, Ed. Gallimard, 1966
Camus, A. Le mythe de Sisyphe. Essai sur l’absurde, Paris, Editions Gallimard, 1965
Camus, A., Noces, Paris, Ed. Gallimard, 1967
Camus, A., La Peste, Paris, Ed. Gallimard, Coll. Le Livre de Poche, 1968
Camus, A., Théatre, récits, nouvelles, Paris, Ed. Gallimard, 1962

Etudes critiques et articles

Balota, Nicolae, Jurnalul unui om fericit, Romania Literară, nr. 2, 1972
Baciu, Virginia, La condamnation a mort dans l’oeuvre d’Albert Camus, Teză de doctorat, Cluj-Napoca, 1978
Horodinca Georgeta, Strainul sau punctul zero, Secolol XX, nr. 4, 1968
Morvan, Lebesque, Camus par lui-meme, Paris, Ed. Du Seuil, 1965, Coll. Ecrivains de toujours
Mounier, Emmanuel, Malraux, Camus, Sartre, Bernanos, l’espoir des désespérés, Paris, Ed. Du Seuil, 1953
Vitner, Ion, Albert Camus sau tragicul exilului, București, Ed. Pentru Literatură Universală, 1968.

 

prof. Stanca Claudia Șovagău

Liceul de Arte Vizuale Romulus Ladea, Cluj-Napoca (Cluj) , România
Profil iTeach: iteach.ro/profesor/stanca.sovagau

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