La place de l’humour dans la salle de classe

J’ai de plus en plus et depuis quelques années déjà, l’impression que l’humour est en voie de disparition, que c’est une denrée rare, dans nos écoles. En tant que professeur au lycée, j’assiste, impuissante,  à ce phénomène et je m’étonne : comment vivre l’adolescence sans humour?  Et puis, comment exercer la profession d’enseignant sans humour ? « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », disait Rimbaud. Et pourtant ! J’observe que mes élèves  perdent leur appétence pour le rire, pour l’amusement, que la salle de classe n’est plus, ni même quand les professeurs n’y sont pas, un endroit joyeux et bienveillant.

Comme j‘y réfléchis depuis quelque temps  et puis, comme je me suis proposée d’écrire cet article j’ai fait un peu de « documentation de terrain » pour vérifier mes observations.

J’ai  donc demandé à mes élèves d’une classe  terminale et  qui étaient plutôt impénétrables au rire tout au long de leur vie de lycéens, s’ils peuvent me raconter une blague que mes oreilles de prof peuvent entendre et qu’eux, à leur tour, ils trouvent hilarante. Ils m’ont dit, carrément, NON ! Et puis, l’explication est venue : « vous savez, nos blagues sont plutôt… visuelles. On regarde des écrans et on rit tout seul, éventuellement on partage ce contenu désopilant pour que les autres s’amusent tout en gardant comme partenaire… leur portable intelligent. Mais quelque chose de drôle à  vous raconter…non, désolés, nous n’en avons pas ! »

J’ai ensuite poursuivi mon enquête pour couvrir un sujet avec lequel, à mon esprit, on ne peut pas badiner, et j’ai demandé à d’autres jeunes que je connais, dans d’autres lycées  de Bucarest s’ils s’amusent à l’école. Une ado très charmante, élève dans le premier lycée du pays, m’a raconté  que ses collègues sanctionnaient toujours les professeurs qui se permettent de faire des blagues. Si, pire encore, ils soupçonnent une trace d’ironie dans les propos de l’un d’entre leurs profs, ils ne le pardonneront jamais. Peu importe la compétence, les efforts, le sérieux avec lesquels ledit prof va continuer son boulot : il a fait une chose impardonnable et donc, il ne sera pas pardonné ! Et, d’ailleurs, le prof n’a   aucune « qualification » pour plaisanter. Ce vieux jeu,  ce ringard, pour qui se prend-il? Voilà  l’attitude de nos ados si les enseignants osent avoir une approche qui suppose aussi un peu d’humour.

La conséquence de cette  attitude intransigeante de nos apprenants est que les enseignants, quant à eux,  ont tellement peur de dire quelque chose d’inapproprié et qui pourrait offenser les sensibilités de leurs élèves, qu’ils préfèrent se taire, lorsqu’une occasion de blaguer se montre. Ils enseignent leur leçon, ils accomplissent donc, sérieusement, leurs tâches, ils deviennent des fonctionnaires corrects et… politiquement corrects, mais ça, c’est une autre histoire !

Ce que je déplore maintenant c’est l’atmosphère dans l’heure de cours qui devient de plus en plus coincée, le fait que tout le monde se méfie de tout le monde,  que les anges passent et  les heures à l’école avec eux, sans pour autant que nous, élèves et professeurs confondus, sentions de la joie. Or, la joie et la bonne humeur sont des ingrédients essentiels dans le processus d’éducation, des roues qui font marcher cette machine formidablement complexe qui est l’école.

Je me souviens avec une certaine nostalgie  de mes débuts dans cette profession, quand je m’amusais dans des classes pleines d’ados joyeux, étourdis et très vivants.

Quand les élèves étaient capables d’autodérision, quand moi, je n’avais pas trop peur à glisser une ironie innocente dans les exemples que je donnais pour qu’ils retiennent plus facilement certains éléments de la leçon. Quand je comptais sur leur humour et sur leurs esprits ouverts et j’osais de leur faire connaître des citations un peu colorées et parfois sulfureuses et appartenant aux auteurs célèbres, exactement pour les faire découvrir des chefs d’œuvres littéraires et pour les inciter à lire !

Ce temps-là, j’ai l’impression, est révolu ! A l’école de nos jours il faut que l’on soit sérieux : élèves et professeurs à la fois, par des raisons différentes, bien sûr, mais tous sérieux ! Avec quel résultat ? A la première vue, avec le fait que tous ces acteurs éprouvent de moins en moins de plaisir en allant à l’école ou que les frustrations de deux côtés sont tellement grandes que la récurrence des événements malheureux dans des  collèges et lycées font souvent la une des journaux.

Aujourd’hui, l’humour, tel que je l’expérimente, n’est qu’un humour de situation, à la Caragiale, ou un humour amer, de survie, auquel je fais appel pour pouvoir surmonter une situation ou une journée compliquée.

Pourquoi, à mes yeux, c’est très important  de ne pas le perdre  pour de bon ? Parce que se prendre trop au sérieux, à n’importe quel âge, ça montre une certaine étroitesse de l’esprit, ça nous empêche de (nous) connaître, de nous réjouir, de nous ouvrir vers le monde.

Comment réussir un tel exploit ? Je pense que pour ça il n’y a qu’une seule voie, et pas la plus simple : se cultiver ! Lire, voire des films, aller au théâtre, lire encore et avoir le courage de nos propres réflexions et de nos propres pensées. Avoir le courage de plaisanter, accepter que dire de petites bêtises  ou même, parfois, des choses insensées, ça fait partie du jeu. Se permettre le luxe de bien s’amuser tout en accomplissant l’acte le plus noble du monde, dans l’établissement le plus sérieux qui doive être l’école, voilà une vraie preuve de courage et d’intelligence.

 

prof. Georgiana Ungureanu

Colegiul Național Iulia Hașdeu (Bucureşti) , România
Profil iTeach: iteach.ro/profesor/georgiana.ungureanu1

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