Nous avons l’habitude de parler en termes plutôt manichéens de l’école en Roumanie: elle est en train de s’écrouler ou, par contre, elle enregistre des performances exceptionnelles, nos élèves sont les meilleurs, ils savent beaucoup plus de choses que leurs collègues de l’étranger, ils se débrouillent mieux par rapport à ceux-ci, ou, par contre, on ne les prépare pas du tout pour la vraie vie etc.
En ce qui me concerne, après vingt ans d’activité ininterrompue dans le système public d’enseignement, je ne peux pas, hélas, me vanter d’avoir tout compris, d’avoir des révélations, ou de pouvoir affirmer sans l’ombre du doute comment se présente notre Ecole, avec un grand E, comme si, tous les élèves, tous les professeurs, toutes les écoles se confondaient.
Dans le même ordre d’idées, je ne pourrais pas non plus dire si les choses sont noires ou blanches, comme ci ou comme ça. Et pourtant, attentive, je le suis ! J’ai, pourtant, envie d’avouer qu’il m’arrive de ne pas avoir de solutions face aux situations délicates avec lesquelles je me confronte dans ma profession. Car tous les jours ne sont pas pareils, les années scolaires non plus, les élèves d’autant moins.
Mais, face à ces difficultés, je ne dois pas m’inquiéter, puisque des solutions existent toujours ! A la portée de tous et très faciles d’accès ! On dirait, en assistant à de nombreux séminaires destinés aux profs, en écoutant les formateurs des formateurs comme on dit maintenant que si, en entrant dans une classe de 30 adolescents l’enseignant appuie sur le bouton correct, il bénéficiera, en fonction de son public, ce qui signifie, en fonction des besoins intellectuels et affectifs, et surtout des humeurs de ses élèves, de tous les attributs du monde. Ainsi, il va être chaleureux et empathique, il va passer, en fonction de la demande, pour le prof grand frère, ou père, ou mère, toujours disponible, toujours à l’écoute, jamais distant, jamais autoritaire, jamais fatigué, le prof qui ne doit plus avoir qu’un seul souci : ménager les sensibilités (oh, combien nombreuses et diverses) de ses élèves.
On m’a demandé une fois, pendant un stage de formation, de faire le portrait du professeur idéal. J’ai dit, naïvement, que, dans l’idéal, il doit être un prestidigitateur, mais que, hélas, moi, personnellement, je suis loin d’être comme ça et que, le plus probablement, on ait beau faire son portrait, un tel prof n’existe pas. Ma sincérité a été prise comme un signe de faiblesse, car parler de nos vulnérabilités, en tant que professionnels de l’enseignement – voilà un sujet qui ne fait jamais l’objet des séminaires destinés aux enseignants.
Or, notre mission est tellement compliquée que ce serait tout à fait normal d’exposer ses inégalités, de parler de nos éventuels échecs mais aussi de nos visions et de nos expériences différentes et pour cela, enrichissantes. Pour soutenir ma thèse je vais donner comme exemple un article que je viens de lire dans Dilema Veche et où il était question, parmi d’autres, des profs qui enseignent des matières «moins importantes», ça veut dire celles dont les contenus ne sont pas évalués dans le cadre des examens nationaux. Une de nos collègues, citée par l’auteur dudit article, lui aussi professeur, suggérait que ces confrères ont la vie beaucoup plus facile que les autres, qui subissent la pression des examens. Moi, je dirais tout le contraire: ceux-ci, s’ils choisissent, et oui, c’est toujours un choix personnel, même intime, de bien faire leur métier, ça veut dire, d’enseigner et d’évaluer sérieusement, eh bien, ceux-ci seront montrés du doigt par tout le « système » : par les élèves et leurs parents, par leurs collègues et leurs directeurs: «mais pour qui il se prend, celui-ci» avec sa classe d’éducation physique, d’éducation visuelle, d’éducation financière ? Et la liste peut continuer avec toutes les matières, sauf celles qui font l’objet de l’évaluation nationale ou du baccalauréat. Je fais cette observation en aucun cas pour polémiquer, mais pour illustrer les multiples visages de notre métier.
Dans ce contexte, ce que moi j’attendrais de nous, les professeurs de Roumanie est de faire un exercice de sincérité. Et si on disait, haut et fort : nous faisons un métier terriblement complexe et compliqué, avec des défis quotidiens, nous sommes hyper exposés à toute sorte d’agressivités, nous sommes dans la première ligne d’un monde plutôt agressif, car toujours en mutation ?
Disons que, par des raisons diverses et qui tiennent de l’époque dans laquelle nous vivons, nos élèves et leurs parents sont des spectateurs extrêmement exigeants, parfois insensés, et que, d’autre part, nous aussi, nous avons droit à l’erreur, comme tout être humain ! Disons encore que oui, quelquefois et même souvent, nous réussissons admirablement, mais, qu’il y a, par contre, des situations où on ne peut rien faire et d’autres encore où même si on fait beaucoup, on échoue lamentablement !
Pour moi, chaque jour à l’école c’est monter une montagne. Quand j’ai de la chance, quand je suis inspirée, quand je suis reposée, quand je bénéficie d’un contexte heureux, je réussis, je monte au sommet et il m’arrive d’avoir des satisfactions certaines.
Il y a, nonobstant, des jours où, malgré mes efforts, je reste à la base de cette montagne ou je ne suis pas capable que d’arriver au premier plateau.
Et pourtant, ça ne m’empêche pas, le lendemain, d’essayer de la monter de nouveau, et pas comme Sisyphe, mais comme quelqu’un qui espère, qui désespère, qui croit toujours, et qui ne se résigne jamais.