Difficultés d’acquisition des structures verbales du français chez les élèves roumains

Le verbe, en tant qu’élément central de la communication verbale, a toujours occupé une position privilégiée dans le processus d’apprentissage d’une langue étrangère. Les enseignants se sont efforcés, au fil du temps, à identifier et à mettre en œuvre les bonnes pratiques, les stratégies didactiques qui leur permettent de diriger leurs apprenants vers une compréhension aussi complète que possible et un usage correct, dans les diverses situations de communication, du système verbal, afin de faciliter l’acquisition d’un outil indispensable dans la structuration d’un discours correct et éloquent.

Paradoxalement, malgré ces efforts, la maîtrise du système verbal français par les élèves roumains reste un véritable « talon d’Achille », qui leur donne du fil à retordre dans la pratique courante de la langue. Peut-être pourrait-on expliquer ce paradoxe, à un niveau superficiel, par la complexité du système verbal français (c’est, d’ailleurs, cette « complexité » que les élèves roumains évoquent souvent pour justifier les difficultés qu’ils rencontrent dans leur démarche d’acquisition de cette partie essentielle du discours).

À notre avis, cette complexité apparente ne saurait justifier qu’en partie les difficultés que les locuteurs natifs d’une langue qui possède un système verbal autant, sinon plus irrégulier, rencontrent quand ils sont mis en situation d’apprendre et de comprendre les particularités d’une langue apparentée. Ce que nous considérons encore plus relevant à cet égard, c’est plutôt la manière dont les élèves réalisent une traduction mentale d’un message du roumain en français et inversement, procédant à un transcodage strictement linguistique au lieu de « déverbaliser » en préalable le message et traduire le sens, erreur signalée aussi par D. Seleskovitch et M. Lederer, dans leur ouvrage Interpréter pour traduire. Bien sûr, la démarche de l’élève roumain est motivée en partie par la similarité relative des systèmes morphosyntaxiques et lexicaux français et roumain, qui leur inculque un sentiment de familiarité trompeuse, largement responsable de l’apparition des erreurs interférentielles.

Le terme « erreur » vient du latin « errare », signifiant « errer, s’égarer ». Au sens figuré il peut être interprété comme « s’écarter de la vérité, se tromper ». D’une perspective pédagogique, cette acception du terme – écart à la norme, au comportement attendu – trouve son plein sens, car dans l’activité de construction des savoirs il est tout naturel qu’un apprenant commette des erreurs. L’apprentissage d’une langue étrangère passe par l’erreur et l’apprenant a le droit d’en faire, de se tromper, pour évoluer.

Traditionnellement, le concept d’erreur est lié à l’idée de faute, avec toutes ses connotations négatives. Or, le statut de l’erreur a beaucoup changé, grâce aux recherches en psychologie cognitive, de sorte que dans les ouvrages didactiques modernes, on procède à une distinction nette entre les deux termes. Selon Astolfi (2003), les erreurs sont, plutôt que des « fautes condamnables », des « symptômes intéressants d’obstacles auxquels la pensée des élèves est affrontée. » (Astolfi, 2003, p. 15) Le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) fait une distinction entre les erreurs, causées par « une déviation ou une représentation déformée de la compétence cible », suite à « une adéquation de la compétence et de la performance de l’apprenant qui a développé des règles différentes des normes de la L2 », et les fautes, qui « ont lieu quand l’utilisateur/apprenant est incapable de mettre ses compétences en œuvre, comme pourrait être le cas pour un locuteur natif ». (CECRL, 2001, p. 118) D’ailleurs, l’apparition d’erreurs dans le processus normal d’apprentissage est inévitable, car les erreurs « sont le produit transitoire du développement d’une interlangue par l’apprenant. Les fautes sont inévitables dans tout usage d’une langue, y compris par les locuteurs natifs. » (CECRL, 2001, p. 118)

L’erreur est donc une partie inhérente de l’apprentissage ; elle est le témoin d’un processus mental aux prises avec la résolution d’un problème, une étape transitoire dans la démarche d’apprentissage, « la trace d’une activité intellectuelle authentique, évitant reproduction stéréotypée et guidage étroit (…). Elle est signe, en même temps que la preuve, que se joue chez l’élève un apprentissage digne de ce nom, qui met en jeu ses représentations préalables et ses compétences actuelles pour s’efforcer de construire du neuf.» (Astolfi, 2003, p. 45)

En effet, comme Corder (1980) le souligne, l’apparition des erreurs en langue étrangère constitue un phénomène naturel, inévitable et nécessaire et reflète l’évolution de l’interlangue, à partir d’hypothèses successives. Les erreurs systématiques, qui constituent l’objet de l’analyse des erreurs, sont des manifestations de la « compétence transitoire » de l’apprenant, bien que la récurrence de certaines erreurs n’implique pas nécessairement qu’elles soient représentatives de l’interlangue, car elles sont souvent le résultat de la fossilisation de certaines formes fréquemment utilisées, que l’apprenant sait erronées, mais dont il ne peut pas se défaire. Ces fossilisations sont particulièrement rétives à l’intervention pédagogique.

Cristea (1977) souligne la relation étroite entre les divergences qui séparent deux langues qui se confrontent dans le processus d’apprentissage et la manière dont l’apprenant assimile la langue cible et évoque l’opinion de R. Lado, selon lequel le facteur essentiel qui détermine la facilité ou la difficulté dans l’acquisition des structures d’une langue étrangère est leur similarité ou leur différence par rapport aux structures de la langue base. Cependant, Cristea affirme que ce rapport devrait être envisagé sous son aspect plus général, car « l’écart entre deux langues n’est pas toujours en raison directe avec les difficultés ressenties par le sujet débutant et le nombre de fautes qu’il commet. Il suffit pour s’en convaincre de citer le cas des ‘faux amis’. » (Cristea, 1977, p. 80) Or, d’après l’auteur, s’il s’agit de langues « apparentées génétiquement », telles le français et le roumain, « les ressemblances partielles peuvent s’avérer plus dangereuses pour un débutant. » (Cristea, 1977, p. 80)

Parmi les multiples tentatives de rendre compte de la diversité des facteurs susceptibles de générer des erreurs, Cristea propose quelques critères de classification. Ainsi, l’auteur distingue, selon leur origine, les erreurs interférentielles et les erreurs internes : « Insuffisamment armé pour faire face aux nouvelles situations qu’impose la pratique d’une langue étrangère, le débutant essaie d’établir un équilibre entre les moyens dont il dispose et ses intentions de communication. Dans cet effort d’adaptation, il cherche des ‘points d’ancrage’, qu’il trouvera soit dans le système de la langue base soit dans les connaissances de la langue cible. Pour guider ce processus, le bilingue débutant procède souvent par des extensions analogiques dont la principale fonction est de lui faire éviter les ‘silences’. Il arrive souvent que ces associations soient abusives (fausses analogies) ; elles donnent alors naissance à des fautes : interférentielles si c’est la langue base qu’il a mise à profit dans la solution particulière adoptée ou internes s’il a utilisé les données acquises de la langue cible. » (Cristea, 1977, p. 86)

Ainsi que le remarque Cristea, les erreurs internes sont le domaine de prédilection des paradigmes de conjugaison verbale. En effet, nous avons pu constater, dans notre activité didactique, que les apprenants tendent à « régulariser » les formes verbales irrégulières en les ramenant à des formes plus fréquentes, à partir d’une connaissance approximative du système verbal français, de l’interlangue. Par un mécanisme de généralisation analogique, ils produisent, par exemple, des formes erronées d’infinitif pour les verbes du IIIe groupe, selon le modèle des verbes du Ier ou du IIe groupe :
(1) *prener (prendre), *écriver (écrire), *liser (lire), *réponder (répondre), *traduiser (traduire), *vivir (vivre), etc.

À l’origine de ces erreurs ne se trouve pas seulement une connaissance incomplète du système verbal français dans son ensemble, mais aussi, comme le remarque Cristea, une analogie avec des formes que les apprenants rencontrent souvent dans le discours scolaire, dans ce cas l’impératif que l’on utilise souvent dans les consignes des exercices : écrivez, lisez, répondez, traduisez.

On rencontre également des erreurs de ce type dans le domaine du participe passé, ou les apprenants débutants « créent », par analogie avec les formes en –é du Ier groupe et, plus rarement, avec les formes en –i, des formes fautives de participe passé pour certains verbes du IIIe groupe :
(2) *metté (mis), *décrivé (décrit), *voulé (voulu), *veni (venu)
Le présent de l’indicatif est « le lieu géométrique d’une série de réductions analogiques » (Cristea, 1977, p. 89) :
– la réduction de l’alternance du radical :
(3) *Les élèves apprendent le français.
*L’homme vive…
*Ils subient l’influence de la famille.
– La généralisation des désinences :
(4) Nous parlons/vous parlez → Nous disons/*vous disez
*Ils faisent… *Je sent… *Je sait…
Ces analogies « sont fondées sur la puissance inductive des formes de haute fréquence d’une part et des formes antérieurement acquises d’autre part ». (Cristea, 1977, p. 90)

Debyser, à son tour, parle de la distinction entre les erreurs interférentielles et les erreurs internes dans les termes suivants : « On ne considérera pas pour autant comme des interférences toutes les performances agrammaticales que peut réaliser un élève dans la langue étudiée. Certaines sont de simples « coquilles » expressives dues au manque d’exercice de la compétence nouvelle. D’autres, comparables à celles que peut faire un locuteur français, relèvent d’une grammaire interne des fautes où l’analogie peut entraîner des formes telles que «*je mourirai », «*vous disez » ou «*si j’aurais su ». On ne considérera comme interférences que les performances inacceptables reproduites systématiquement, résistant à l’apprentissage, et derrière lesquelles on reconnaît de façon évidente certaines caractéristiques de la production d’énoncés correspondants en Ll. Des distinctions similaires devront être faites pour les difficultés de compréhension ; ainsi la non-compréhension de messages trop rapides ou troublés par des bruits n’est pas imputable à une interférence de compétences. En revanche on pourra considérer comme interférentielles des erreurs répétées d’interprétation de messages qui ne présenteraient pas d’ambiguïté pour un locuteur de L2, langue maternelle. La phrase interférentielle comme l’interprétation interférentielle seraient donc le produit de la contamination de deux compétences, entraînée, dans le cas de l’étude d’une langue étrangère, par les limites de la compétence en L2. » (Debyser, 1970, pp. 47-48)

Déterminer si une erreur a son origine dans la langue maternelle de l’apprenant ou plutôt dans l’interlangue, dans la grammaire étrangère intériorisée, peut s’avérer souvent difficile, car la plupart des erreurs ont, à l’exception des calques, une composante interférentielle et une composante analogique. Les hésitations de l’apprenant et l’alternance entre une forme correcte et une forme fautive témoignent d’habitude d’une compétence insuffisante, en train de se développer. C’est pourquoi l’enseignant de FLE doit tenir compte de ces interactions entre les deux grammaires intériorisées, celle du roumain et celle du français, afin de pouvoir guider l’apprenant vers un niveau supérieur de performance langagière.

Bibliographie
Astolfi, J.-P. (2003). L’erreur, un outil pour enseigner. Paris: ESF Editeur.
Cadre européen commun de référence pour les langues: apprendre, enseigner, évaluer. (2001). Paris: Conseil de l’Europe / Les Éditions Didier.
Corder, P. (1980). Que signifient les erreurs des apprenants. Langages (57), 9-15.
Cristea, T. (1977). Eléments de grammaire contrastive. Domaine français-roumain. Bucureşti: E.D.P.
Debyser, F. (1970). La linguistique contrastive et les interférences. Langue française (8), 31-61.
D. Seleskovitch et M. Lederer, Interpréter pour traduire, 5e édition revue et corrigée, 2014, Les Belles Lettres, Préface de J.-R. Ladmiral, (1re édition, 1984).

 

prof. Lucian-Marius Goga

Colegiul Național Silvania, Zalău (Sălaj) , România
Profil iTeach: iteach.ro/profesor/lucian.goga

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