„Ce qu’aujourd’hui tu peux faire, au lendemain ne diffère.” „Ne remets pas au lendemain ce que tu peux faire le jour même.” „Aujourd’hui ami, demain ennemi.” Voilà que la sagesse populaire est tranchante quand il s’agit de cette habitude qui nous concerne tous – remettre à plus tard l’accomplissement des tâches désagréables ou fastidieuses.
On connaît tous le regard honteux d’un élève qui n’a pas fait son devoir, qui est triste ou fâché d’avoir pris une mauvaise note à une épreuve écrite ou qui est embarrassé de ne pas pouvoir faire son exposé à la date prévue. Plus il avance dans ses études, plus ça devient une habitude : éviter de commencer à travailler, ne jamais finir dans les délais prévus, stresser à cause de ça. La pratique n’est pas exceptionnelle, bien au contraire, elle concerne tout le monde et elle a même acquis un nom qui sonne très prétentieux et lui prête même un certain air de noblesse: la procrastination.
Comme son étymologie en témoigne, la procrastination suppose un ajournement, une remise systématique au lendemain ou à plus tard. En effet, le terme dérive du latin, pro signifiant „pour” ou „vers” et crastinus, „à venir”, „futur” (de cras, „demain”). Ainsi, procrastinatio signifie „ajournement”, „remise”, „délai” et procrastino, „remettre une affaire au lendemain”.
La procrastination suppose le choix d’une activité alternative à l’activité due et elle concerne tous les domaines de la vie: personnel, social, économique, éducatif, etc. Les procrastinateurs la caractérisent comme mauvaise, nuisible et insensée. 80% d’entre eux voudraient la réduire, mais ne font pas l’effort nécessaire pour vaincre cette habitude, peut-être à cause des bénéfices cachés qu’elle procure.
Quand on parle des élèves et des étudiants, le phénomène porte le titre de procrastination académique et suppose le penchant à éviter de faire les devoirs, d’accomplir les responsabilités liées à l’école ou à les assumer à la dernière minute.
Il est important que les professeurs comprennent cette attitude afin de pouvoir aider les élèves concernés.
Il s’agit d’enfants qui sont enclins à éviter les devoirs scolaires en utilisant des excuses pour justifier leurs délais et éviter les répercussions. En fait, les procrastinateurs savent ce qu’ils doivent faire, ils veulent le faire, ils sont capables de le faire, ils ont l’intention de le faire, essaient de le faire, mais ne le font pas quand même. À la place, ils choisissent des actions qui leur procurent plus de plaisir: naviguer sur Internet, passer le temps sur leur smartphone, jouer, bavarder, dormir, regarder la télé, manger, sortir avec des copains, naviguer sur Facebook ou sur les autres réseaux sociaux.
Le choix de ces alternatives mène tout d’abord au renforcement de ce comportement nocif – il devient une habitude difficile à combattre – et puis à des problèmes physiques, émotionnels et mentaux.
Les spécialistes citent beaucoup de conséquences liées à ce comportement. Il y a des effets sur les études: la procrastination mène à des résultats faibles, à l’échec aux examens, à la peur de l’évaluation, à la dépression et à l’anxiété, à l’hésitation et à la baisse de l’esprit de compétition. Les effets sociaux sont tout aussi importants: la quête des moyens de réussite rapides, l’utilisation des moyens malhonnêtes, l’attitude hostile, les pratiques immorales, les addictions et la démotivation. Il y a des études qui montrent des relations entre la procrastination chronique et la performance scolaire faible, l’utilisation des drogues, le stress et des maladies qui imposent la visite des unités médicales. La procrastination peut mener à un complexe d’infériorité et à la baisse de la confiance en soi. Elle augmente le stress, l’inquiétude et la peur. Ceux qui procrastinent sont plus anxieux et plus stressés pendant tout le semestre et ils sont plus agités avant une épreuve écrite. La personne mène sa vie dans la honte, la culpabilité et le doute de soi. Cette pratique affecte le sommeil, la diète et le style de vie. Devenant chronique, elle peut mener à la dépression, à la tromperie et au plagiat.
Les causes de la procrastination sont tout aussi nombreuses: la maladie, les problèmes sociaux, le manque de motivation, la paresse, l’attitude des professeurs, le manque de guidage, les commentaires négatifs ou le manque de feedback, le manque de coordination, une quantité trop importante de travail, le stress, le manque d’implication des parents ou leur contrôle excessif, la rébellion contre le contrôle, l’entourage, une dépendance quelconque, des problèmes de communication, des stratégies de gestion de temps inadéquates, le perfectionnisme, l’incapacité de prendre des décisions, les pensées irrationnelles, la peur des conséquences/du succès, l’incapacité de se concentrer, la peur de l’échec, la baisse du respect de soi/l’excès de confiance, l’anxiété, le manque de stratégies de résolution de problèmes/d’apprentissage, des attentes irréalistes et des habitudes de travail inadéquates, l’absence des horaires d’étude, des tâches trop difficiles ou ennuyeuses et une gratification trop différée. Les élèves ajournent une tâche qu’ils n’aiment pas afin de gagner quelque chose d’agréable à court terme, quelque chose qui leur donne l’impression de liberté et de bonheur.
Il y a une catégorie à part d’élèves procrastinateurs: les perfectionnistes. Ce sont des élèves qui vivent dans la peur, le manque de confiance en soi, la crainte de l’inconnu, l’évitement et le manque de motivation. La peur de ne pas rendre un travail parfait les détermine à repousser la tâche à faire au lendemain. Ils se sentent incapables de réussir, ils ont peur de l’inconnu et la prise de risque n’est pas leur point fort. Leur estime personnelle est assez basse et ils vivent beaucoup d’anxiété. Si en plus ils ne s’intéressent pas à la matière concernée, leur motivation diminue. Ils ont toujours besoin de plus de temps et ils sont toujours mécontents du résultat. Ils se perdent dans les détails et ajournent toujours plus la finalisation de la tâche. Ils se déclarent pas prêts à faire leur exposé ou à rendre leur copie. Ils s’en séparent à contrecœur et gardent le sentiment de mécontentement par rapport à leur travail. Quand bien même ils recevaient une bonne note, ils ne pourraient pas s’en réjouir et resteraient insatisfaits de leur prestation. La dépense d’énergie est excessive par rapport à l’importance de la tâche. Mais la pensée irrationnelle planquée dans leur tête est très puissante: „on ne m’aimera pas si je ne suis pas parfait”, „je ne mérite rien si je ne suis pas parfait, alors je dois essayer encore et encore”. Sauf que les efforts ne suffisent jamais face à leur autoévaluation. Le désapprentissage est possible, avec une prise de conscience très mature et beaucoup de volonté engagée dans l’effort de ne plus écouter ses pensées irrationnelles.
Une autre catégorie spéciale est formée d’élèves vulnérables, dont le respect de soi vacille très facilement, qui enregistrent exceptionnellement un échec scolaire. Cela baisse leur motivation d’apprendre et, par peur d’un nouvel échec, ils procrastinent. Ils auront besoin de se rappeler leurs succès passés, de s’entourer de personnes de succès, d’observer le succès des autres pour être motivés d’accomplir les tâches qui mènent au succès et de poursuivre leurs objectifs à long terme. Les élèves ont besoin d’expériences de succès, d’encouragement et de comprendre les bénéfices de l’utilisation des stratégies de succès.
Le trop de devoirs à accomplir pendant la même période, le trop de tâches scolaires mène aussi à la procrastination. La confusion par rapport aux consignes et le manque de guidage de la part du professeur ou d’un collègue favorisent ce phénomène.
Les élèves motivés intrinsèquement au moins tendance à procrastiner. En revanche, ceux dont la motivation est extrinsèque vont éviter les tâches scolaires et vont se contenter avec une note de passage ou avec une réussite en dessous de leur potentiel.
Selon la théorie de l’auto-efficacité d’Albert Bandura, ce que nous croyons de nous-mêmes influence fortement notre choix de la tâche, notre niveau d’effort, notre persévérance, notre résilience et la façon dont nous nous comportons. Cela explique le cercle vicieux dans lequel entrent les élèves procrastinateurs: leur basse estime de soi les fait se sentir incapables d’être à la hauteur de leurs aspirations et procrastiner. Cela fait que leur estime personnelle diminue encore, puisqu’ils se jugent très négativement de toujours remettre à plus tard l’accomplissement des tâches.
Il y a des élèves qui vainquent tout seuls leur tendance à procrastiner, soit parce qu’ils sont très responsables, soit parce qu’il y a des répercussions qu’ils veulent absolument éviter qui les poussent à enfin réaliser leurs tâches.
Mais la plupart n’en sont pas capables et ils ont besoin d’accompagnement. Ils ont besoin que leurs parents soient à côté d’eux et qu’ils les encouragent à s’impliquer dans leurs devoirs. S’ils se sentent en sécurité dans leur famille, ces élèves vont progressivement diminuer leur penchant à la procrastination.
La psychothérapie systémique verrait la procrastination comme un symptôme de la famille. Par exemple, l’enfant peut – de manière inconsciente, bien évidemment – vouloir détourner l’attention des parents de leurs problèmes de couple qui menaceraient la stabilité de la famille et l’attirer vers lui-même en enchaînant échec scolaire après échec. De cette manière, les parents auraient une raison de rester ensemble et un objectif commun: „réparer” leur enfant. C’est aux parents de s’en rendre compte et de se concentrer sur le vrai problème – leur relation de couple – et d’apprendre à l’enfant de rester à sa place. Une fois le conflit résolu, une fois la sécurité de la famille rétablie, le comportement de l’enfant se réglera de soi. Un enfant heureux et n’a pas de raison de (se) créer des problèmes.
Un professeur devrait s’intéresser à l’environnement familial de son élève pour mieux le comprendre. On a beau vouloir aider un élève à réussir sa scolarité s’il a découvert inconsciemment que ses échecs assurent l’équilibre de la famille, s’il a décidé de la sauver en se sacrifiant. Il doit se convaincre tout seul de la nécessité de séparer sa responsabilité des problèmes relationnels des parents et de construire sa vie en restant à son bout de relation.
Ce qui relève du devoir des professeurs, c’est la relation académique, le guidage, les encouragements, le feedback positif et la distribution appropriée des tâches et des gratifications. Nous pouvons entraîner les élèves à la maîtrise des stratégies métacognitives et de résolution des problèmes et à la formulation des objectifs SMART.
On a constaté que l’estime de soi, le niveau d’optimisme des élèves, leur perception de contrôle sur les tâches académiques et leur motivation les influencent à choisir ou pas de procrastiner, tout comme les échéances, le lieu de résidence et les distractions induites par Internet.
Dans la classe, une atmosphère enthousiaste, qui stimule l’apprentissage, la possibilité de prendre ses propres décisions et de comprendre les conséquences de ses choix, la possibilité de choisir les tâches à faire donnent aux élèves le sentiment d’autonomie. Le feedback positif et l’encouragement leur donnent le sentiment de succès. Ils comprennent que le professeur essaie de les comprendre individuellement et qu’ils sont importants en tant que personnes. Un feedback constructif, explicite et basé sur l’effort sera composé de commentaires sur les tâches ou les performances et ne portera pas sur la personne de l’élève. Au lieu de se contenter avec l’attribution d’une note, ce feedback montrera à l’élève que le professeur comprend son effort et ses acquis. De cette manière, il sera motivé à travailler pour recevoir des feedback similaires.
Et oui, on guérir de la procrastination. Mais c’est un travail constant et c’est un effort d’équipe. Il faut que les parents, les professeurs et les autres élèves parlent la même langue et soient conséquents, tout en ayant en tête l’objectif à long terme: éduquer l’enfant pour qu’il devienne un adulte autonome et responsable.
Si on fait attention à l’enfant, on pourra constater facilement où il dépense l’énergie qu’il n’investit pas dans l’accomplissement des tâches scolaires. On pourra après se demander pourquoi il a choisi de le faire, quel besoin il se satisfait. La procrastination est le sommet de l’iceberg: elle nous indique qu’il y a un souci et que le vrai problème se cache en dessous, qu’il faut le chercher ailleurs: dans la famille, dans la relation avec les copains, les collègues ou le professeur, dans une histoire romantique, dans une pensée irrationnelle, une croyance dysfonctionnelle, etc. Et souvent, c’est à un psychothérapeute d’intervenir. Une approche systémique apportera le maximum de profit, car elle envisagera la famille entière et décèlera la fonction du symptôme (qui est la procrastination de l’enfant) dans la famille, le mécanisme qui le maintient en place et le bénéfice caché qu’il apporte au bon fonctionnement de la famille.
Le professeur peut lui aussi se poser des questions : „La procrastination de cette enfant, qu’est-ce qu’elle montre de très profond dans sa relation avec moi ? Qu’est-ce qu’il veut me dire en procrastinant? Quel est le rôle de ce comportement dans la dynamique de la classe? Quel statut offre-t-il à l’enfant dans la classe ? Pourquoi en a-t-il besoin?” Les réponses à ces questions seront révélatrices. Parfois il suffira de très peu pour faire les changements nécessaires.
La précision des critères d’évaluation qui incluent un item portant sur le respect des délais, la division des grands objectifs en sous-objectifs – qui aient, eux aussi, un délai précis, l’entraînement à la gestion du temps, le feedback constructif qui mette en valeur les efforts et les stratégies de l’élève et, surtout, la reine de toutes les stratégies de succès, la relation académique basée sur l’acceptation, l’assertivité et le respect de la personne qui est l’élève devant soi – voilà ce que le professeur pourrait faire pour aider ses élèves à vaincre leur penchant à la procrastination.
Tout en veillant à ce qu’il n’en soit pas touché lui-même et qu’un élève pense ou lui dise: „Médecin, guéris toi-même!”.
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