Dans les discours politiques contemporains, la construction de l’ethos ou de l’image de soi que projette l’orateur, joue un rôle central dans les stratégies de persuasion. Dans le cas de Donald Trump, président des États-Unis et principal candidat du Parti républicain à l’élection présidentielle de 2024, l’analyse de l’ethos est incontournable pour comprendre les dynamiques de polarisation qui caractérisent le débat public américain. Cet article propose une lecture discursive de quelques interventions publiques de Donald Trump en 2024, en mettant en lumière la construction d’un ethos de sauveur antisystème, les manifestations de violence verbale à l’encontre de ses opposants, ainsi que les techniques récurrentes de disqualification et de délégitimation. À travers des exemples précis, nous démontrerons comment ces procédés participent à la création d’un discours antagoniste, parfois en rupture avec les normes démocratiques.
Un ethos de sauveur providentiel
Depuis sa première campagne électorale, Donald Trump construit son ethos sur l’image d’un outsider capable de défier l’ordre établi. En 2024, cette posture est renforcée, dans un contexte de méfiance généralisée envers les institutions. Lors d’un discours prononcé dans l’Iowa le 15 janvier 2024, Trump affirme : « Only I can fix this country. They had their chance and failed miserably. » Cette phrase condense plusieurs procédés rhétoriques puissants. D’une part, elle exclut catégoriquement les autres acteurs politiques, réduits à leur incompétence. D’autre part, l’usage du pronom « I » associé au modal « can » suggère une capacité exclusive à sauver la nation – une caractéristique propre aux figures politiques messianiques.
Ce positionnement est renforcé par une valorisation nostalgique de son propre mandat : « During my presidency, we had the strongest economy, the lowest unemployment, and no wars. Now look at the mess. » (discours au Michigan, mars 2024). La juxtaposition d’un passé idéalisé et d’un présent chaotique permet d’imposer l’image d’un leader efficace, injustement écarté, mais prêt à restaurer l’ordre et la prospérité.
Violence verbale et disqualification de l’adversaire
Un élément structurel du discours trumpien est l’usage délibéré de la violence verbale comme levier de mobilisation et de polarisation. En avril 2024, lors d’un rassemblement en Pennsylvanie, Trump déclare : « Joe Biden is the most incompetent and corrupt puppet in American history. » Cette phrase procède à une disqualification en bloc à travers l’emploi de qualificatifs péjoratifs (« incompetent », « corrupt ») et la réduction de l’adversaire à une simple marionnette, dénuée d’autonomie. On assiste ici à une stratégie de déshumanisation rhétorique, qui évacue toute possibilité de débat démocratique.
Cette violence symbolique se manifeste aussi par l’usage systématique de surnoms insultants, devenus signatures de son style oratoire. En mai 2024, sur le réseau Truth Social, Trump qualifie le procureur Jack Smith de « deranged Jack Smith ». Loin d’être de simples invectives, ces formules visent à fixer une représentation dégradée de l’adversaire dans l’imaginaire collectif, par effet de répétition et d’étiquetage. Elles construisent une dichotomie simpliste entre le leader « honnête » et des ennemis « fous » ou « corrompus », facilitant ainsi l’adhésion émotionnelle de l’électorat.
Attaques contre les institutions et rhétorique complotiste
Une autre constante du discours de Donald Trump en 2024 est la remise en cause des institutions judiciaires et médiatiques, souvent accusées d’être instrumentalisées par ses opposants. En juin 2024, lors d’un discours en Arizona, il affirme : « The DOJ is not seeking justice – they are running a witch hunt. It’s all rigged. » L’usage de l’expression « witch hunt » (chasse aux sorcières) et de l’adjectif « rigged » (truqué) relève d’une rhétorique conspirationniste, qui vise à délégitimer toute forme d’enquête ou de contradiction institutionnelle.
Dans ce cadre, l’ethos de Trump repose moins sur l’adhésion à des principes démocratiques que sur une posture de victime persécutée. L’autorité ne découle plus d’un mandat légal ou d’un programme politique, mais de la fidélité d’un public convaincu que le système est corrompu. Cette stratégie affaiblit la confiance dans les mécanismes démocratiques et encourage la radicalisation des partisans, dans une logique d’opposition permanente.
L’analyse du discours de Donald Trump en 2024 révèle une architecture rhétorique fondée sur le conflit, l’exclusion et la mise en scène d’un héros solitaire en guerre contre un système dévoyé. L’ethos qu’il construit, entre figure providentielle et victime d’un complot, s’articule avec des formes de violence verbale, des techniques de disqualification et des attaques ciblées contre les institutions. Ce type de discours, loin de favoriser le débat, renforce les clivages idéologiques et mine les fondements du vivre-ensemble démocratique. La langue, dans ce cas, ne sert pas seulement à persuader, mais à redessiner le réel selon une logique binaire où l’autre est systématiquement diabolisé. Il devient ainsi crucial, pour les analystes du discours, de décrypter ces mécanismes et d’en mesurer les effets sur l’espace public contemporain.
Bibliographie
Amossy, Ruth (2010). La présentation de soi. Ethos et identité verbale. PUF
Amossy, Ruth (2014). Apologie de la polémique. PUF
Charaudeau, Patrick (2009). Identités sociales et discursives du sujet parlant. L’Harmattan