En essayant de décrire une langue, on se trouve un peu dans la condition du peintre qui fait son portrait par lui- même. Est qu’il y a parmi nous des personnes qui veulent se rendre compte par elles-mêmes de ce qu’elles font quand elles parlent leur langue maternelle et, pourquoi pas, une langue étrangère? Il ne s’agit pas de spécialistes ou de linguistes, mais de personnes quelque peu instruites sur les mots de la langue courante et tout au plus sur les termes de la grammaire traditionnelle.
La personne en cause, n’a aucune idée de ce qu’elle fait quand elle parle. Il est comparable à l’automobiliste qui conduit sa voiture sans savoir comment fonctionnent ses différents organes et pièces, qu’il serait même en peine de nommer pour la plupart. Cette ignorance ne l’empêche nullement de bien conduire son véhicule. Il n’est donc pas besoin de savoir comment fonctionne le langage pour savoir parler et même très bien parler.
Il est difficile de s’écouter, d’écouter les autres et de juger par sa propre expérience. Mais la langue n’est jamais la langue d’un seul. Elle est toujours le moyen de communication de plusieurs, d’un groupe, d’une communauté, d’un pays, d’une nation.
Étudier la langue parlée, c’est étudier des discours généralement non préparés à l’avance. Lorsque nous produisons des discours non préparés, nous les composons au fur et à mesure de leur production, en laissant des traces de cette production. Ces traces de production, une fois transcrites par écrit, rendent souvent insupportable la lecture des productions oralesNous n’avons pas l’habitude de voir écrites ces choses-là, qui sont aussi pénible à lire.
Il y a une grande opposition entre la langue parlée et la langue écrite. La langue parlée est donc la façon de s’exprimer oralement qui n’est pas identique à la façon de s’exprimer par écrit. La vraie langue parlée est celle qui est utilisée par le sujet parlant spontanément, sans référence à une forme écrite quelconque. Pour tous les sujets parlants n’est qu’un compromis variable entre la langue vraiment parlée et la langue écrite oralisée.
Il existe toujours un écart entre les deux réalisations, l’orale et écrite et cet écart est plus ou moins grand selon les personnes. Chacun parle comme il peut et à sa façon. Le parlé est réalisé sous forme de parole – terme proposé par le grand linguiste genevois Ferdinand de Saussure qui a fait la distinction entre langue et parole, soulignant le fait que la parole est soumise au hasard à la décision individuelle. L’ensemble de paroles constitue la langue parlée.
Monique Lebre-Peytard définissait l’oral comme “un message produit par un enchaînement de phonèmes et perçu auditivement” et l’écrit ou le scriptural comme “un message produit par enchaînement de graphèmes et perçu visuellement”. Donc il y a une forte opposition entre la langue parlée et la langue écrite, c’est une observation générale dans toutes les langues du monde.
Si bulletins d’informations, reportages sportifs radiodiffusés, annonces publicitaires, échanges téléphoniques, conférences, conversations sont des messages oraux qui ont organisation discursive différente, ils possèdent des traits d’oralité qui les distinguent des discours écrits.
Les discours écrites, dans le domaine du scriptural il y a une absence de traits prosodiques en particulier les pauses, mais cette absence est compensée par la production qui permet d’isoler les unités d’un discours, mais la ponctuation et les traits prosodiques ne sont pas équivalentes. En outre, l’écrit bénéficie de la dimension spatiale, inexistante à l’oral. Si on admet les affirmations faites par Robert Jakobson et Eugène Benveniste, des affirmations qui contiennent le fait que le langage est communication parce qu’il a des unités permettant non seulement de transmettre des informations, mais de signaler la communication est en train de se dérouler. On doit mentionner le fait que les deux types de discours oraux et les discours écrits ou scripturaux ont un objet référentiel similaire: les “doublets”.
La similarité informative laisse apparaître le plus aisément les composants linguistiques des deux discours. Ces deux types de discours sont semblables au plan des informations transmises mais la différence se trouve dans la manière de transmettre les informations.
Le chois successif de l’oral au scriptural est fréquent: la transmission d’informations radiophoniques, la présentation d’interviews, etc. Faisant ces comparaisons, nous ne donnons pas une priorité de l’oral par rapport au scriptural.
Comme nous l’avons constamment indiqué, le parlé va de la communication la plus familière, la plus triviale, jusqu’à l’élocution d’un ensemble d’énoncés qui, par la construction de la phrase, le choix des mots, le soin mis à produire les sons, l’absence de certains modulations, pourrait passer pour n’être que la variante orale de la langue écrite. Cette variante semble parfois dominer chez les personnes très cultivées, surtout quand il s’agit de s’exprimer sur des sujets qui, par leur nature, requièrent une formation précise, bien organisée. Mais, cela ne veut pas dire que toutes les personnes cultivées soient capables de réaliser en parlé une élocution qui suive de près l’expression écrite.
Il arrive que des écrivains, des acteurs, des hommes de science, quand on leur demande d’improviser une déclaration même banale, s’embrouillent dans ce qu’ils disent, commettent des ratés, des fautes ou bafouillent lamentablement. Ces personnes ne sont pas spécialement entraînées à parler.
Quand on écoute un enregistrement de ce genre des performances, nous nous rendons compte qu’il y a un refus de s’intéresser à l’expression parlée. Mais, ce qu’est de surprenant, est le fait qu’il y a des personnes, de peu d’instruction, qui ont une sûreté dans leurcomportement. Elles parlent clairement, en phrases qui s’enchaînent d’elles-mêmes et si, par moment, une incorrection se fait entendre, elle est due à leur peu de savoir et non à leur incapacité de s’exprimer.
Certains parleurs s’expriment comme ils peuvent, sont totalement indifférents à la forme de ce qu’ils disent. Le problème ne se pose même pas à leur esprit mais à cause d’enregistrements, pris sur le vif, de certaines conversations. Il arrive que le parlé d’une personne ne soit pas intelligible, mais on peut obtenir la cohésion que par le débit, le ton, la mimique et les gestes. La plupart d’entre nous, nous avons plusieurs “parlés” selon les circonstances. Chacun a plusieurs registres, selon l’étendue et la diversité de son expérience personnelle, selon aussi les relations qu’il entretient avec des personnes d’autres milieux que celui dans lequel il se trouve habituellement. Ce qui a moins été mis en évidence, c’est qu’un même sujet puisse avoir et ait effectivement plusieurs prononciations. Il ne s’agit pas de différents accents régionales, mais du fait que certains sons peuvent être réalisés par le même parleur de plusieurs façons.
C’est ainsi que l’o est produit fermé dans auto et s’ouvre dans automobile, automobiliste.
La distinction de l’é fermé et de l’è ouvert est remise en question dans le débit rapide ou simplement négligé. On entend couramment un è ouvert dans régler, régner, événement. Il est difficile de situer les é fermés dans délégation.
La consistance de la langue parlée est peu cohérente chez la plupart des usagers. Mais un tel état de choses n’est pas propre au seul français, il caractérise toutes les langues de civilisation que nous connaissons, petites ou grandes, c’est-à-dire peu ou très répandues. La cohésion du parlé ne se rencontre que dans des collectivités peu nombreuses vivant tranquillement à l’écart des courants commerciaux, intellectuels et artistiques. La langue parlée est en perpétuelle transformation.
Il ne faudrait pas croire ou conclure que la langue parlée se présente sous des formes d’une sorte d’écrit phoniquement mal réalisé.
Heureusement, la langue parlée a beaucoup d’innovations qui se sont imposées au cours des années et on peut dire que quelques-unes ont pénétré ou tentent à pénétrer dans la langue écrite. Ces innovations jouent un rôle important dans l’économie générale de la langue. Une frappante innovation est celle de la locution c’est avec toutes ses formes: c’était, ce sera, se serait, etc. Cette locution introduit un constant qui est ensuite complété par le reste de l’énoncé que le parleur s’est ainsi donné le temps d’organiser en lançant d’abord c’est.
Exemples: C’est vingt minutes de gagnées.
On pourrait dire:
Vingt minutes ont été gagnées.
Ou plus fréquemment:
On a gagné vingt minutes.
Le parleur a du décider tout de suite par quoi commencer. C’est permet de s’accorder un délai.
Dans les exemples que nous venons de présenter c’est ne met pas spécialement en valeur tel ou tel terme de l’énoncé.
Voilà un autre exemple:
C’est le docteur qui vient d’arriver.
C’est ne met pas en relief le terme “ docteur”, mais communique un constant qui pourrait aussi s’exprimer par: Le docteur est arrivé.
On ne doit pas conclure que cette locution n’est pas capable de mettre en valeur un terme quelconque de l’énoncé. Un exemple éloquent est: C’est vingt minutes qu’on a gagnées. L’emploi de cette locution a aussi l’avantage d’une fonction articulatoire. Cette fonction apparaît dans des constructions d’une extrême fréquence telles que: La vérité c’est que le pays n’est pas mûr.
Son, opinion à lui, c’est que le médecin s’est trompé.
Le parleur lance d’abord le mot qui est présent au premier plan dans son esprit et il s’appuie ensuite sur l’élément c’est pour construire le reste. On peut ajouter d’autres innovations mais, il serait fastidieux de les énumérer ici.
Une autre caractéristique de la langue parlée est que le parlé est efficace à cause des effets qu’il peut obtenir dans la réalisation phonétique des élocutions. La césure et la modulation sont les procédés qui jouent le plus grand rôle dans l’énoncé parlé. Les effets de la parole sont d’un grand secours pour exprimer l’emphase ou la mise en relief du terme sur lequel on veut attirer spécialement l’attention. Quand nous entendons dire: Je l’ai totalement oublié. On peut dire que le parleur veuille mettre l’accent sur le mot totalement . Il peut recourir aux effets suivants:
a. faire porter l’accent d’intensité cumulé avec le ton élevé, sur la première syllabe de totalement.
b. faire venir le mot totalement en fin d’énoncé, toujours en marquant la syllabe to l’accent d’intensité.
c. faire intervenir une césure entre oublié et totalement, avec le même ordre des termes et le même accent d’intensité.
d. employer l’élément c’est en changeant l’ordre des mots: C’est totalement que je l’ai oublié.
Les effets de la parole sont d’une grande efficacité. Certains énoncés donneraient lieu à des contresens plus ou moins fréquents, sans leur intervention.
Pour que le texte devienne intelligible, quand on fait la lecture à haute voix il faut utiliser des césures. Le locuteur ne peut se méprendre sur la signification exacte de l’énoncé et dans ce cas, le découpage est suggéré.
Le parlé est plus souple et dispose de beaucoup de moyens de rattrapage que la langue écrite ne peut utiliser, même en recourant à des artifices de ponctuation donc, on peut dire que le parlé est supérieur à l’écrit.
NOTES :
1. Benveniste, C.B., Le français parlé, Études grammmaticales, Paris, 1990.
2. Benveniste, E., Problèmes de linguistique générale, Gallimard, Paris, 1966.
3. Lungu-Badea, G., Traduction et interprétation, Approche comparative, in Buletinul stiintific al U.P.T.
4. Lebre-Peytard, M., Situations d’oral, Didactique des langues étrangères, Sorbonne, 1990.