L’opération traduisante porte sur des textes dont la teneur, plus ou moins spécialisée, relève d’un domaine.La langue en est le dénominateur commun, avec tout ce qu’elle comporte d’ambiguïtés, de lacunes, de limites, qui tiennent à la nature de l’esprit humain. Or, ces signes, susceptibles de sens différents et de nuances multiples, restent sujets à interprétation. D’où la difficulté inhérente à la tâche du traducteur, qui doit saisir le sens du texte de départ dans ses nuances les plus fines et le reproduire de façon équivalente dans le texte d’arrivée.
Quel que soit le type de texte à traduire, les obstacles techniques – c’est-à-dire linguistiques (lexicaux, syntaxiques, stylistiques etc.) – sont à peu près les mêmes, encore que les difficultés ne soient pas analogues d’une langue à l’autre, particulièrement entre langues de culture très éloignées. Mais la traduction ne se réduit pas aux mots, tournures et expressions que contiennent le texte de départ. Dans certains domaines il s’agira de passer d’un système à un autre, non seulement dans la lettre mais aussi dans l’esprit du texte cible, avec ce que cela comporte de risques et de changements.
La traduction juridique est une activité technique, en ce sens qu’elle fait intervenir une langue spécialisée qui se distingue à la fois de la langue courante et des autres domaines. L’opération traduisante pose au traducteur des difficultés particulières qui tiennent à la nature du langage du droit. Polysémique, comme toute langue de spécialité appartenant au domaine des sciences sociales, le langage du droit véhicule des notions propres à une tradition, une culture et produit des textes le plus souvent porteurs de règles ou normes contraignantes et d’effets juridiques.
Toutefois, au problème fondamental que pose au départ le langage viennent s’ajouter ceux de la norme juridique et des concepts qui ne coïncident pas d’un système à l’autre. En traduction juridique, la difficulté est multipliée par deux.
Le texte est en outre porteur d’effets qui échappent à l’intelligence du profane et parfois du juriste même, mais qui ne sauraient être ignorés du traducteur. En traduction juridique, l’équivalence des textes ne se borne pas à traduire la lettre et à rendre l’esprit. Un texte de droit emporte des effets juridiques. Ceux-ci doivent être équivalents dans les deux textes, faute de quoi le traducteur aura échoué dans sa tâche.Pourtant, quelles que soient la méthode et la manière retenues, le but de la traduction juridique est d’atteindre, sinon l’utopique identité, du moins l’équivalence des textes.
La présence de systèmes juridiques différents pose le problème de la non-correspondance des notions ou des termes. Dans un cadre où la traduction doit surmonter les contraintes linguistiques et juridiques causées par la présence de systèmes juridiques différents, le traducteur a recours à des outils ou à des moyens lui permettant de s’acquitter de sa tâche. Le problème est de savoir où trouver ces moyens, et par où commencer la recherche documentaire. Gémar suggère un cheminement de recherche documentaire en trois étapes. La première étape est la lecture et l’analyse du texte, la deuxième est le relevé des termes et notions inconnus et la troisième est la recherche des équivalents. Le problème que signale Gémar dans le processus de recherche des équivalents est la tendance à recourir au dictionnaire de traduction en premier lieu alors que, pour lui, ce dictionnaire devrait servir en dernier recours. Un autre problème que les dictionnaires posent, signale Gémar, vient d’une part du fait qu ‘ils suggèrent des solutions du type recettes de cuisine et, d’autre part, du fait que les exemples qu’ils fournissent sont souvent des traductions et non des textes originaux. Gémar recommande que le traducteur colle à la réalité des systèmes juridiques du texte à traduire. Le traducteur ne doit pas se contenter de faire des recherches dans plusieurs dictionnaires, il doit aussi savoir puiser dans des sources fiables. La recherche de telles sources exige que le traducteur connaisse les droits en présence, quant au fond et à la forme.
Les procédés de traduction constituent un des outils pour l’appréhension du sens du texte de départ et le moyen par lequel le traducteur réexprime ce sens dans la langue d’arrivée en tenant compte du destinataire et de la fonction que ce texte aura dans la culture réceptrice. La connaissance et la maîtrise des procédés de traduction permettent au traducteur d’utiliser au maximum les ressources de la langue d’arrivée. Les procédés de traduction sont classés en deux groupes:
1) Les procédés de traduction directe (littérale);
2) Les procédés de traduction oblique (non-littérale).
Le souci de fidélité au texte de départ est souvent invoqué pour justifier des traductions qui restent fidèles aux mots. En adoptant l’équivalence comme définition de traduction, le traducteur doit chercher à produire un texte qui reflète le sens de l’original en utilisant au maximum les ressources de la langue et de la culture de réception.
L’approche interprétative du texte proposée par Gémar repose sur le principe selon lequel le traducteur doit réexaminer, dans la langue et le système juridique d’arrivée, le sens qu’il aura dégagé de la langue et du système juridique de départ. Pour que le traducteur réussisse à dégager le sens le plus justement possible, Gémar suggère une analyse du texte sur les cinq plans suivants: sémantique, syntaxique, grammatical, lexical et stylistique.
L’appréhension du sens et de la signification est donc une question de lecture et de capacité à comprendre ce qu’on lit pour ainsi interpréter ce qui a été dit et le réexprimer en langue d’arrivée.
Dans l’appréhension du sens du texte, le traducteur doit comparer tant les aspects syntaxiques, soit la macrostructure du texte, que les aspects grammaticaux, c’est-à-dire la microstructure du texte. En analysant les relations entre les mots, et les structures des phrases de la langue de départ et de la langue d’arrivée, le traducteur parvient à comparer l’organisation générale de chacune des deux langues concernées par la traduction.
Lorsque le traducteur aura compris le texte, il pourra en réexprimer le sens en sachant qu’il doit parfois se plier, et ce, dans presque toutes les langues, aux règles que la grammaire impose. En français, il pourra par exemple utiliser le présent de narration au lieu du passé simple ou du passé composé, mais il devra également savoir que la forme simple du passé dans une langue ne correspond pas nécessairement à la forme simple du passé dans une autre langue.
L’analyse stylistique permet au traducteur de cerner les différents registres d’expression et de dégager le ton employé par l’auteur du texte de départ, après quoi il pourra les reproduire conformément aux usages de la langue d’arrivée et du domaine en question. Traduire est donc un processus de résolution de problèmes qui exige que le traducteur connaisse les principes théoriques et pratiques de la traduction.
Le texte juridique est conçu pour contraindre ou pour provoquer des comportements. Afin d’atteindre cet objectif, le droit fait appel à des procédés stylistiques. Si le texte a été doté d’un style précis pour atteindre un but précis, on peut conclure que le style est porteur de sens et qu’il importe de le cerner.
Traduire est sans doute un art difficile. Mais traduire des textes juridiques plus encore, car, nous avertit Gérard Cornu, «là où ils s’additionnent, le bilinguisme et le bijuridisme portent au paroxysme la complexité».
„Le discours juridique est une parole créatrice, qui fait exister ce qu’elle énonce. Elle est la limite vers laquelle prétendent tous les énoncés performatifs, bénédictions, malédictions, ordres, souhaitsou insultes: c’est-à-dire la parole divine, de droit divin, qui, comme l’intuitus originarius que Kant prêtait à Dieu fait surgir à l’existence ce qu’elle énonce, à l’opposé des énoncés dérivés, constatifs, simples enregistrements d’un donné préexistant.” (P.Bourdieu)
Le cas des notions qui n’ont pas d’équivalent dans la langue cible est assez fréquent. Dans ces cas, le traducteur est obligé à recourir ou à la paraphrase, ou aux procédés de la néologie, dont par exemple le calque, la traduction mot à mot d’une expression complexe, la création d’un néologisme formel motivé etc. Toutefois il doit éviter un terme déjà existant dans la langue cible pour ne pas créer de confusion.
Dans un ordre de difficultés croissant, les procédés de traductions sont: l’emprunt, le calque, la traduction littérale, la transposition, la modulation, l’équivalence et l’adaptation. Gémar soutient que les principes qui régissent la traduction juridique sont les mêmes que ceux qui régissent la traduction générale, que les mécanismes y jouent le même rôle et que, quel que soit le type de texte à traduire, l’objectif est toujours de faire passer un message de manière à ce qu’il soit compris par le destinataire.