Les immigrés espagnols face au discours médiatique français : peurs, hiérarchies et déclin de visibilité (Murcie, 2025)

Dans les articles consacrés aux événements de Murcie, la presse française recourt de manière récurrente à une rhétorique fortement connotée, empruntant au champ lexical de la catastrophe et de la guerre pour dramatiser la situation.

Métaphores et rhétoriques de la peur

Des expressions telles que deuxième nuit de violences à Murcie ou déferlement de colère dans les rues espagnoles mobilisent des métaphores de la crise, de la montée incontrôlable d’une force destructrice, évoquant presque une fatalité naturelle. Cette stylistique participe à une esthétisation du chaos, dans laquelle la violence devient un phénomène spectaculaire, extérieur à tout cadre socio-politique précis. L’usage de termes comme chasses, assauts ou émeutes accentue encore cette dynamique, en inscrivant les faits dans un imaginaire guerrier où les protagonistes sont perçus comme des ennemis en confrontation directe. Or, cette rhétorique de la peur a pour effet non seulement de susciter une réponse émotionnelle intense chez le lecteur, mais aussi de renforcer des représentations collectives anxiogènes autour de la figure de l’Autre, perçu comme instigateur ou catalyseur du désordre. En naturalisant la violence par des métaphores dramatiques, le discours médiatique élude les responsabilités politiques, économiques ou structurelles, et contribue à ancrer la peur comme prisme principal de lecture de l’immigration.

Un discours des „nous” – les dominants et des „eux” –  les marginaux

L’analyse du discours médiatique sur les immigrés espagnols révèle une tension permanente entre reconnaissance de l’intégration et maintien d’une altérité symbolique. Bien que les articles soulignent souvent que ces immigrés se sont bien intégrés ou qu’ils ont su s’adapter à la société française, la construction discursive repose sur une opposition implicite entre une culture d’accueil considérée comme normative et une culture d’origine perçue comme exogène. Les formulations du type ils ont apporté leurs traditions ou ils ont su concilier leur héritage et les valeurs françaises entretiennent une logique binaire qui érige la culture française comme référentiel central, face auquel toute différence culturelle est jugée, ajustée ou atténuée.

Ce type de discours établit une frontière invisible mais persistante entre un « nous » implicite – les Français dits « de souche », natifs, porteurs de la culture dominante – et un « eux » assigné à la marge, même lorsque l’expérience migratoire est ancienne ou que les générations issues de l’immigration sont pleinement socialisées en France. L’intégration, dans ce cadre, n’est pas pensée comme un processus bidirectionnel de dialogue interculturel, mais comme une démarche unilatérale, où l’immigré est sommé de s’adapter, d’abandonner certaines pratiques ou de les rendre invisibles pour mieux correspondre à la norme majoritaire.

En conséquence, même lorsque le discours semble valoriser l’intégration des immigrés espagnols, il reconduit des hiérarchies implicites et naturalise une asymétrie des positions culturelles. L’Autre est toujours celui qui « vient », qui « doit changer », tandis que le groupe majoritaire reste intangible, positionné comme référent immuable. Ce type de construction renforce la distance symbolique entre les groupes et empêche l’émergence d’une véritable reconnaissance réciproque dans l’espace public.

Le discours médiatique contemporain (2025) sur les immigrants espagnols, même lorsqu’il se veut factuel et mesuré, reconduit souvent de manière implicite une dichotomie entre un « nous » autochtone, perçu comme pacifique, rationnel et légitime, et un « eux » immigré, associé à la perturbation, à l’altérité problématique et à la tension sociale. Cette polarisation discursive, rarement explicitée, s’inscrit dans des formulations apparemment neutres mais lourdement connotées. Ainsi, lorsqu’un article du Journal du Dimanche évoque que « les habitants appellent au calme après plusieurs nuits de tension », le terme « habitants » fonctionne comme une catégorie exclusive, supposant une appartenance originelle au territoire et excluant implicitement les populations immigrées de cette désignation. Par ce glissement sémantique, les immigrés sont placés en position d’extériorité, même s’ils résident dans la même ville ou le même quartier. Cette opposition subtile mais persistante contribue à produire un récit où la communauté nationale est définie en creux, par contraste avec une altérité toujours suspecte ou inassimilée, consolidant ainsi des frontières symboliques puissantes.

Déclin de la visibilité médiatique des immigrés espagnols

Depuis le début des années 2000, la visibilité médiatique des immigrés espagnols en tant que groupe identifiable s’est progressivement estompée au sein du paysage journalistique français. Alors qu’ils faisaient autrefois l’objet de récits spécifiques, souvent liés à leur insertion dans les secteurs manuels ou à leur participation à la reconstruction économique de la France d’après-guerre, les Espagnols immigrés sont désormais englobés dans des catégories génériques et indifférenciées telles que « immigrés européens », « populations migrantes » ou, dans certains cas, « expatriés ». Ce glissement lexical traduit un déplacement idéologique majeur : en remplaçant les désignations précises par des termes englobants, le discours médiatique contribue à une forme d’effacement mémoriel et symbolique de cette immigration. Il s’agit moins d’une reconnaissance de l’intégration réussie que d’une dissolution de leur trajectoire historique dans un ensemble amorphe.

Ce processus s’accompagne d’un changement de registre dans la représentation des Espagnols : alors que la figure du travailleur ouvrier des décennies 1960-1970 dominait les récits antérieurs, les profils évoqués plus récemment sont ceux de cadres, d’artistes ou de jeunes diplômés mobiles. Cette mutation contribue à redéfinir la perception sociale de l’Espagnol immigré en fonction de critères de capital culturel et économique, alignés sur les normes valorisées par le discours néolibéral contemporain. Toutefois, cette reconfiguration médiatique, loin de reconnaître la diversité des parcours espagnols en France, tend à invisibiliser les héritages populaires et les formes d’engagement collectif portées par les premières générations. L’histoire de cette immigration se trouve ainsi euphémisée, voire neutralisée, dans un récit lissé où seuls les aspects valorisants et conformes à l’image d’une mobilité choisie subsistent, au détriment d’une compréhension critique des inégalités passées et présentes.

Entre neutralité apparente et stigmatisation implicite

L’analyse des articles consacrés aux émeutes de juillet 2025 à Murcie révèle une ambivalence caractéristique du discours médiatique français lorsqu’il traite des questions migratoires. Derrière une apparente objectivité journalistique, fondée sur une narration factuelle et une neutralité lexicale affichée, se dessinent des choix discursifs qui participent activement à la production et à la reproduction de schémas d’altérisation. Le migrant, rarement nommé dans sa singularité, est fréquemment désigné à travers des catégories génériques ou floues – telles que « jeunes d’origine maghrébine », « groupes de migrants », ou simplement « individus issus de l’immigration » – qui tendent à uniformiser des réalités pourtant hétérogènes. Ce flou lexical et syntaxique permet une distribution implicite de la responsabilité des violences sans que les auteurs soient explicitement désignés, entretenant ainsi une association latente entre migration et désordre.

Ce phénomène s’accentue par l’usage récurrent de la voix passive ou de tournures impersonnelles, qui contribuent à effacer les agents des actions décrites et à diluer les responsabilités. Dans ce cadre, le discours médiatique construit un imaginaire où la différence culturelle est non seulement visible, mais perçue comme porteuse de tension. Le migrant devient alors la figure de l’Autre, non plus comme sujet social intégré ou agent d’une histoire commune, mais comme acteur potentiel du trouble ou de la menace.

Cette stratégie discursive, bien que subtile, alimente un climat de suspicion généralisée et participe à une logique de stigmatisation implicite. En dissimulant les mécanismes de hiérarchisation symbolique sous une apparence de neutralité langagière, le discours médiatique contribue à renforcer les frontières sociales entre « eux » et « nous », légitimant ainsi des formes de rejet ou d’indifférence qui se déploient dans l’espace public contemporain.

L’analyse des représentations médiatiques des immigrés espagnols à travers la presse française contemporaine met en lumière un traitement linguistique profondément ambivalent, révélateur des mécanismes subtils d’inclusion conditionnelle et de hiérarchisation implicite à l’œuvre dans le discours public. Si ces immigrés ne sont plus aujourd’hui les cibles d’attaques explicites, ni d’un rejet ouvertement exprimé dans les médias généralistes, leur présence dans l’espace discursif reste néanmoins encadrée par des dispositifs linguistiques qui tendent à réduire la pluralité de leurs identités à des figures figées, normées et consensuelles. Ils sont représentés soit sous les traits du travailleur modèle du passé – discret, laborieux, reconnaissant – soit dans des formes plus récentes qui les intègrent dans des catégories globalisantes telles que « populations européennes mobiles » ou « expatriés qualifiés », évacuant de fait les spécificités historiques, sociales et culturelles de leur trajectoire migratoire.

Ce double mouvement discursif – valorisation méritocratique rétroactive et invisibilisation contemporaine par dilution dans des termes vagues et a-culturels – contribue à la construction d’un récit national qui, tout en affichant une ouverture apparente à l’altérité, en conditionne étroitement les modalités d’acceptabilité. Le migrant espagnol devient ainsi une figure « légitime » de l’étranger intégré, souvent mobilisée comme contre-modèle implicite face à d’autres formes d’immigration perçues comme plus problématiques. Cette logique comparative participe au renforcement de frontières symboliques qui, bien qu’invisibles, structurent les imaginaires collectifs autour de la question migratoire.

La presse française, en tant qu’acteur central dans la circulation des représentations, joue un rôle déterminant dans cette opération de codification du réel. Par ses choix lexicaux, syntaxiques et rhétoriques, elle construit une vision du monde où certaines altérités sont tolérées, voire valorisées, mais uniquement à condition qu’elles restent silencieuses, conformes et désactivées politiquement. Ce traitement linguistique opère donc une reconnaissance partielle, toujours conditionnée, qui masque des inégalités structurelles persistantes et inhibe toute reconnaissance pleine de la diversité sociale.

En conclusion, cette étude rappelle l’importance de considérer le langage non seulement comme reflet de la réalité sociale, mais comme acteur de sa construction. Il ne s’agit pas seulement d’analyser ce que les mots disent, mais de questionner activement ce qu’ils taisent, ce qu’ils contournent ou neutralisent, et de comprendre comment, à travers les formes mêmes du discours, se dessinent les contours du visible et de l’invisible dans les dynamiques de l’immigration.

Bibliographie
Charaudeau, P. (2002). Le discours d’information médiatique. Paris: Vuibert.
Fairclough, N. (1995). Critical Discourse Analysis: The Critical Study of Language. London: Longman.
Van Dijk, T. A. (2006). Discourse and manipulation. Discourse & Society, 17(3), 359-383.
Articles consultés sur www.lefigaro.fr, www.bfmtv.com, www.francetvinfo.fr, www.lejdd.fr, entre les 10 et 13 juillet 2025.

 


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prof. Claudia Toma

Școala Gimnazială Ion Creangă, Galați (Galaţi), România
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