Apprendre (encore) le français, a quoi bon?

On a l’habitude de parler de la motivation qu’un prof doit transmettre et inspirer à ses élèves. Tout est affaire de motivation, on entend tout le temps et j’admets volontairement que c’est vrai. On parle ensuite du bien-être a l’école. Du bien-être de l’élève à l’école.
Mais la motivation des profs? Mais le bien- être des profs? Est-ce que ça nous dit (encore) quelque chose? Est-ce que ça compte vraiment? Et si oui, pour qui?

Il y a actuellement en France un vif débat (vif, comme, d’ailleurs tous les débats en France) sur le mal-être des profs, sur leur solitude, sur les difficultés avec lesquelles ils doivent se confronter chaque jour, sur leur épuisement (burn-out).

Les professeurs roumains n’en sont pas épargnés, et pourtant ce n’est pas un sujet qui fait la une, ni mêmes dans les publications des profs. On a du mal à admettre, et peut-être, même  à comprendre, que la situation est compliquée, que le temps est dur, que l’heure est grave.

En tant que professeur de FLE dans un bon lycée de Bucarest, je me pose, hélas, de plus en plus souvent, cette question cioranienne: à quoi bon ? La vérité est que ce sont mes élèves qui me l’adressent, indirectement : pourquoi apprendre le français, me demandent-ils ?  Nous n’en avons pas besoin, ajoutent-ils immédiatement. Nous parlons l’anglais, me communiquent-ils, avec emphase, nous l’apprenons depuis petits, nous avons passé tous les examens et obtenu toutes les certifications de langue anglaise, et alors, pourquoi faire un effort considérable pour apprendre une deuxième langue, parfois une troisième qui, soyons honnêtes, perd du terrain, au moins en Europe ?

Je suis toujours prompte dans mes réponses et comme j’anticipe, avec chaque génération cette question, je suis préparée : parce que connaître une nouvelle langue c’est connaître tout un monde, parce que connaitre la langue française c’est  encore connaître un monde magnifique, c’est savoir-vivre et c’est bien-vivre. C’est avoir des débouchées inespérées sur le marché dutravail, c’est des études universitaires gratuites et de très bonne qualité, c’est la beauté et c’est l’élégance, c’est l’ouverture d’esprit. Je leur dit ça avec conviction et avec la passion de la prof qui est amoureuse de cette langue inépuisable et de ce pays fabuleux qui est la France.

Et pourtant!

J’ai lu, il y a quelques années,  un article dans le quotidien Le Figaro, écrit par l’essayiste et professeur de philosophie Luc Ferry. L’article  s’appelait  École: Comment faire boire l’âne qui n’a pas soif ? Ferry observait et soulignait dans cet article  le besoin  et le désir de plus en plus diminués que les élèves des lycées et des collèges français ressentaient par rapport aux savoirs que l’école peut encore leur transmettre. Il admettait, ensuite,  que, malgré les efforts des théoriciens de l’école et des didacticiens, qui, parfois, proposent des études brillantes, les élèves restent, dans leur écrasante majorité, au-delà du désir d’apprendre. Du moins de celui d’apprendre à l’école.

Il y a, ensuite, ce monsieur formidable, Boris Cyrulnik, neurologue et psychiatre français que je  lis et suis avec grand plaisir, et qui constate, à son tour,  que les enfants sont de moins en moins pétris par leurs parents, d’autant moins par l’école. Il serait question, de nos jours, dit Cyrulnik, d’une éducation qui passerait plutôt par les images qui « ont un pouvoir de façonnement émotionnel et intellectuel énorme » […]. (Le Nouvel Observateur, no.2050,19/02/2004)

Les deux points de vue sont, sans aucun doute, basés sur des observations attentives et dûment qualifiées, sur une analyse fine de la société  et des microsociétés que représentent les écoles, les classes des élèves et, ensuite, les familles.

La situation  que ces deux spécialistes, venant des domaines quand même différents, présentent, est, certes, celle de la France. Mais, si on fait un exercice de lucidité, nous aussi, nous y sommes.

Alors, notre mission aujourd’hui, en tant que profs de français en Roumanie est-elle impossible? Je ne sais pas, mais je pense que, plus que jamais il ne faut pas baisser les bras, il faut être là pour nos élèves qui ont envie d’apprendre le français et pour ceux qui n’ont pas du tout cette envie. Parce que, cette mission, lorsqu’elle réussit, quelle joie et quel bonheur ! Je ne veux pas parler de la déception et de l’amertume que l’échec, qui fait lui aussi, partie de notre métier, peuvent nous procurer.

Ce sont des pensées qui me préoccupent et que je veux partager avec vous. Et pour boucler, j’espère que j’ai répondu à la question du titre, même si, comme on conseille souvent nos élèves de nuancer, en préparant leurs examens DELF, la réponse n’est pas évidente.

 

prof. Georgiana Ungureanu

Colegiul Național Iulia Hașdeu (Bucureşti) , România
Profil iTeach: iteach.ro/profesor/georgiana.ungureanu1

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