On est le 10 juin. Apriori, tout le monde qui n’a pas grand-chose à faire avec l’école, a l’impression et même la conviction que les professeurs, tout comme leurs élèves, se préparent pour les bien méritées vacances. Désolée, mais à ceux qui raisonnent comme ça, je dois leur dire qu’ils se trompent.
Car, c’est à ce moment-ci de l’année scolaire, que les choses se compliquent vraiment. C’est le moment du bilan : pour les professeurs, mais aussi et surtout pour les élèves et leurs parents.
En occurrence, le professeur de français se met à compter les résultats malheureux à la matière qu’il enseigne et le professeur principal qui je suis, se met à compter les absences, innombrables parfois, de ses élèves. Il se voit ainsi obligé(e), encore une fois, d’informer les parents de ces cancres (comme dirait, avec tendresse, pourtant, Daniel Pennac).Bien entendu, les parents auraient pu venir s’intéresser plus tôt, le professeur avait exprimé dès le mois de septembre sa disponibilité, en leur laissant son numéro privé de portable, en leur envoyant son emploi du temps et l’horaire des rencontres hebdomadaires parents/ professeur. Il a même exprimé son désir d’avoir des rendez-vous privés pour qu’il puisse mieux comprendre les situations délicates de la classe. Toujours en vain, le prof a fait ensuite des appels récurrents et tout au long de l’année scolaire; ces parents-ci, débordés ou tout simplement indifférents, n’ont pas eu le temps ou l’envie de franchir le seuil de l’école.
Mais, voilà, que maintenant ils sont mis dans une situation un peu plus délicate, car le verdict tombe : votre fils ou fille sera sanctionné(e), c’est le règlement de l’école qui veut ça, il faut qu’on trouve ensemble des solutions pour que l’on détourne(le règlement, je veux dire).Eh oui, ça arrive presque tout le temps, même si ça ne se fait pas!
Apres donc d’autres appels de votre part, cette fois-ci plus fermes, car l’enjeu était devenu plus sérieux, l’arrivée miraculeuse se produit. L’un des jours de la semaine passée, j’ai dû faire face à 3 visites consecutives des parents. Les rendez- vous dont je vais vous parler ont duré trois heures trente et, chronologiquement, c’était comme ça : premièrement c’était une grande- mère qui est venue. La dame a pleuré tout le temps; elle ne pouvait pas comprendre comment sa petite- fille avait hérité le mauvais caractère de son père (vous avez deviné, c’était la grand-mère maternelle) et rien de bon de l’autre côté de la famille.
La deuxième visite, c’était de la part d’un couple de parents. Ceux-ci se sont terriblement disputés pendant une heure et demie, ils se sont jetés des gros mots et des injures, des reproches graves, des accusations réciproques et ils ont fini par se déclarer déçus par la politique de l’école qui ne s’était pas avérée assez exigeante pour mettre sur la bonne voie leur fille, qu’ eux, en tout cas, ne pouvaient plus maîtriser depuis quelque temps !
A la fin, c’était une mère célibataire qui est venue, qui m’a avoué sa difficulté d’avoir élevé seule sa fille, qui avait été un enfant sage et maintenant elle ne comprenait pas pourquoi son ados se comportait d’une manière tellement inappropriée. Elle a parlé avec la fille, la fille a commencé à pleurer, elle non plus ne comprenait ce qui l’avait prise, à la fin elle a promis juré qu’elle changerait d’attitude l’année prochaine.
Trois heures et demie se sont ainsi écoulées et après, je me suis retrouvée avec les mêmes questions que je me pose quotidiennement, les mêmes doutes, les mêmes amertumes, les mêmes impuissances. Est-ce que je fais bien ce que je fais ? Est-ce que j’aurais pu éviter ces situations ? Est-ce que j’aurais dû être plus ferme ou, par contre, moins stricte ?
Comment faire pour que les élèves, les parents et moi, nous soyons tous contents ?
Difficile mission, même après une vingtaine d’années dans ce métier, qui me surprend toujours, qui ne me laisse jamais me reposer ou lâcher prise, qui me donne des insomnies et des tonnes de points d’interrogation.
La semaine prochaine, d’autres parents viendront, d’autres mécontentements seront exprimés, d’autres reproches peut-être et d’autres amertumes pour ma pomme.