De tous les arts, le cinéma est peut-être le plus captivant grâce à son exploration de l’imaginaire, à la combinaison d’images, de son et de mouvement et à sa capacité d’évoquer des rêves et des souvenirs. Le film peut faire transporter le public vers un autre monde, un monde où l’imagination est appelée à participer aux événements qu’on observe.
Des barrières de temps, d’espace et d’identité s’effacent, et seul notre propre volonté peut nous empêcher d’y participer pleinement. Dans un film, tout « parle » dans la langue respective : le décor, les attitudes, l’agencement et la conception mêmes du film. Prendre appui sur le cinéma, sur les images, sur une ambiance et une langue en situation a pour premier effet de susciter un changement dans la représentation de l’apprentissage.
L’étude d’un film pendant la classe de langue étrangère suppose plusieurs étapes :
1. Le travail préparatoire
Le professeur doit faire une étude globale et approfondie du film. Il doit le voir plusieurs fois intégralement, le reprendre en changeant l’angle de vue, dégager le message essentiel et les détails, pour en tirer des arguments ; puis prendre de l’ensemble les points les plus significatifs renvoyés au tout, pour ordonner les contenus, les classer et les hiérarchiser. En classe, l’enseignant commence par une sorte de pré-lecture. Premièrement, le professeur propose une analyse collective du titre du film pour que les élèves expriment ce que celui-ci évoque pour eux et quels mots leur permet de le dire. En second lieu, par petits groupes, les élèves peuvent construire les lettres qui composent le titre quels mots il est possible. Ensuite le professeur fait circuler l’affiche du film et demande aux élèves de dire ce qu’ils se représentent par avance du film. Il procède finalement à la collecte des idées émises. Les élèves peuvent utiliser les constructions « Je pense que le film … , qu’il montre …, qu’il raconte que …», si l’on veut travailler le discours rapporté ; ou l’enseignant recommande d’utiliser « peut-être que c’est l’histoire de … » ou « c’est peut-être l’histoire de … », en faisant travailler la place de « peut-être », ou encore de s’entraîner à dire « Il se peut que… », « c’est possible que… », pour faire construire des hypothèses de ce modèle.
2. L’étape de construction
L’enseignant continue avec la présentation du réalisateur ; l’œuvre est située dans la biographie et la filmographie du réalisateur, le film replacé dans son contexte historique, social, économique, politique, artistique et cinématographique.
Le travail se poursuit avec l’immersion proprement dite, au cours de laquelle on regarde le générique, puis le film par séquences de 1 à 5 minutes entre lesquelles on discute sans recours à l’image. Le visionnage morcelé du film doit s’arrêter avant le dénouement, la fin sera vue lors la projection intégrale. La première étape a pour objet de faire dire aux participants si les hypothèses émises dans la phase de pré-lecture trouvent ou non une amorce de validation au générique et dans la première scène regardée, de formuler les écarts observés par rapport aux anticipations ; on se le redemande plusieurs fois par la suite. Au fur et à mesure que la classe découvre le film, les élèves sont invités à commenter, poser des questions, répéter les scènes, improviser en situation, selon une démarche inspirée des méthodes communicatives constructivistes, en particulier des “ simulations globales ” de Francis Yaiche et Francis Debyser. Il est important de bien faire ressentir quelle valeur prend chaque élément, chaque scène en fonction de son voisinage immédiat et aussi par rapport au tout.
En imaginant ce qui a pu se passer avant que l’histoire ne commence, ce que faisaient les personnages avant leur première apparition, ils inventent les scènes, ils formulent des monologues intérieurs qui pourraient prendre place lors de silences ; inventent des dialogues complets sur des scènes regardées sans le son, après répartition des rôles. Peu à peu, ils racontent les évènements du point de vue du personnage qu’ils incarnent et, avec son langage, cherchent des solutions aux situations, imaginent la suite. Invités à fermer les yeux et à se concentrer sur la seule bande-son, ils proposent leurs propres images, les mouvements et les déplacements des personnages, les angles de prise de vue et les cadrages qu’ils choisiraient.
3. De l’expression orale vers l’expression écrite
Ces exercices oraux ont un important effet d’entraînement entre les participants ; le plaisir du jeu, les interactions en chaîne, les surprises que chacun offre aux autres (et à lui-même !) créent une réelle émulation. D’autant que les identités fictives protègent la plupart du temps les élèves de toute gêne issue d’une erreur commise ou de la peur d’une expression trop personnelle. On travaille ainsi en parallèle la compréhension orale rapide et l’expression orale ; il n’est alors pas absolument nécessaire de comprendre stricto sensu toutes les répliques pour apprécier le film ; l’ambiance, les personnages, leurs émotions, donnent l’intuition de la signification des mots, de leur valeur (dénotations, connotations, sens littéral, sens figurés, détournés).
Les productions les plus pertinentes sont écrites au tableau, et servent de point de départ à des manipulations de formes linguistiques, afin de garantir une bonne compréhension du passage en cours d’étude, une expression adéquate et une bonne communication dans le groupe. On écrit aussi le plus possible, pour conforter ce qu’on vient de (re)voir, et sous toutes sortes de prétextes : un mot, une carte postale, une lettre à un des protagonistes, au réalisateur, une page du journal intime de l’un ou de l’autre ; on rédige, seul ou à deux, la suite d’une scène, le dialogue que l’on a joué, etc.
Au fur et à mesure des nécessités, le groupe formule avec le professeur des règles provisoires d’utilisation des formes morphosyntaxiques. Au cours de cette phase se greffent éventuellement des activités complémentaires amenant les apprenants à parler et écrire en langue étrangère, pour obtenir des informations à l’extérieur de la classe… En même temps qu’un objet d’étude, la langue est un vecteur de connaissances et on l’apprend en la pratiquant.
Le professeur peut également proposer de chanter des chansons entendues dans le film, pour le plaisir et pour faire mémoriser de petites histoires, voire de composer de nouvelles paroles.
4. La projection intégrale du film
Arrive enfin le moment tant attendu : la projection du film dans son intégralité avec découverte du dénouement (sur lequel les élèves n’auront fait que des hypothèses). C’est une phase importante de l’immersion car le film retrouve toute sa force d’impact due à ce qu’il n’a pas été conçu à des fins d’enseignement. Une force d’impact qui sera décuplée si, dans la mesure du possible, le film est vu dans des “ conditions réelles ”.
Après la projection, le professeur propose quelques exercices qui permettent de bien se remémorer le film. Les élèves sont par exemple invités à trouver cinq mots-clés pour le film, à les comparer à ceux de leur voisin, à opérer des regroupements parmi l’ensemble des mots recueillis, à s’en servir pour formuler des slogans publicitaires pour assurer la promotion du film, choisissant aussi, pour sa bande-annonce, les scènes qu’ils voudraient y faire figurer.
L’enseignant peut les amener à exprimer ce qu’ils retiennent du film, parmi les détails, les moments fugitifs marquants, puis ils confrontent ce qu’ils avaient imaginé avec la fin choisie par le réalisateur, débattent des scènes qu’ils préfèrent et de celles qu’ils n’apprécient pas en argumentant, formulent quel est finalement le propos du réalisateur, en re-contextualisant ce dernier. Invités à poser des questions sur les passages qu’ils ne sont pas certains d’avoir bien compris, ils rédigent encore des critiques journalistiques, des interviews imaginaires de comédiens, lisent et commentent les articles de presse publiés à la sortie du film ou lors de sa diffusion télévisée. Il est tout à fait possible de calibrer les exercices de cette phase de façon à permettre un entraînement aux épreuves du D.E.L.F. et du D.A.L.F.
Il existe peu d’autres façons aussi captivantes et aussi riches pour l’enseignement d’une langue que le film. Utiliser des films pour attirer l’attention des élèves sur l’importance de l’étude du français réussit en général parce que les films amusent, parce que ceux qui ne connaissent pas bien la culture française en sont curieux, et parce que ceux qui la connaissent sont normalement ravis d’y goûter par le cinéma.
Le film, l’image, l’animation, le son, l’interactivité, les objets en 3D, les personnages virtuels, … tout cela ne peut qu’améliorer le cours, le simplifier, le rendre plus captivant pour tous les élèves. Si l’on réussit un cours avec un morceau de craie et un tableau noir, l’intégration de nouvelles technologies d’information et de communication ne peut être qu’une réussite.
Bibliographie:
Compte, C – La vidéo en classe de langue, Paris, Hachette, 1993.
Lancien, T. – Le document vidéo dans la salle de classe, Paris, CLE International, 1994.