De nos jours, le mot « média » est employé si souvent, et dans des circonstances si différentes, qu’on ne se préoccupe plus guère de savoir ce qu’il signifie précisément. Média, mass-média, moyens de diffusion, moyens de communication de masse, tels sont les mots ou expressions qui sont fréquemment utilisées comme des synonymes.
En s’imposant, au tournant des années 1980, le mot « média » désigne tout d’abord un moyen – un outil, une technique, un intermédiaire – qui permet aux gens de s’exprimer et de communiquer à autrui une expression, quel qu’en soit l’objet ou la forme. Mais il se définit également par son usage, lequel désigne à la fois un rôle déterminé qui a fini par prévaloir et la meilleure façon de remplir ce rôle. Il échappe difficilement à la tache qui lui a été assignée : organe d’information ; moyen de divertissement, d’évasion ou de connaissance ; support ou vecteur d’œuvres ou de chefs-d’œuvre artistiques.
Le sociologue Marshall McLuhan, présente le phénomène « des médias de masse » sous quatre caractéristiques principales :
- la communication d’ un individu vers plusieurs ;
- l’uni-latéralité du message : le public n’interagit pas avec le véhicule du message ;
- l’information n’est pas différenciée : tout le monde reçoit la même information au même moment ;
- l’information est linéaire et présentée selon des séquences pré-définies.
En pleine mutation technologique, les médias jouent un rôle chaque jour plus important tant en matière d’information et de communication que de loisirs et d’éducation. Presse, cinéma, radio, télévision, Internet : tous ces moyens d’échange multiplient passerelles entre les personnes, les peuples, les cultures.
Les médias exercent sur le plan culturel leur influence la plus visible, sinon la plus profonde. Ils mettent à la porteé un grand nombre des spectacles et des manifestations qui, autrefois, étaient réservés à quelques privilégiés servis par le hasard. Ils jouent à cet égard un rôle objectif de vulgarisation, et, disent certains, de véritable démocratisation de la culture.
On a souvent fait remarquer qu’une certaine pièce de Sophocle a eu plus de spectateurs en une seule diffusion sur la première chaîne de télévision, qu’elle n’en avait eu dans le monde entier depuis sa création, quelques siècles avant Jésus-Christ. Les grandes œuvres de la culture humaine se trouvent ainsi accessibles à tous public, et, dès lors, leur fonction peut s’exercer pleinement. Dans le domaine de la musique, la radio et le disque travaillent clairement en ce sens.
Il est fréquent que la radio soit utilisée comme fond sonore, c’est-à-dire comme un véritable accompagnement de la vie quotidienne. On ne l’écoute pas vraiment, mais, si elle se taisait, quelque chose manquerait. Le phénomène commence tout juste à apparaître en ce qui concerne la télévision. D’une certaine façon, donc, la solitude et l’isolement ont changé de nature : nous ne disons pas qu’ils ont disparu ou qu’ils sont moins graves qu’auparavant, mais incontestablement ils se sont transformés.
Les médias offrent désormais aux individus la possibilité d’un auto-enseignement. Ils fournissent de telles ressources culturelles, et dans des secteurs tellement varies, que tout individu peut y trouver ce dont il a besoin pour sa propre formation. Il est probable que le développement de l’auto-instruction, considérable à notre époque, s’appuie fondamentalement sur les médias. Comme on le dit dans le monde anglo-saxon, les médias constituent de véritables « centres de ressources culturelles ».
Une idée apparue récemment concerne l’emploi des médias en dehors de l’école pour former aux élèves une certaine formation culturelle, dans les domaines les plus divers. Le phénomène de « l’école parallèle » a été lancé par Georges Friedmann « l’école parallèle », le mois de janvier 1966, dans une série d’articles parus dans Le Monde.
Pendant très longtemps, l’école a été le principal dispensateur du savoir, des connaissances et de la culture. Ce qu’on apprenait pour la vie, on apprenait à l’école. Désormais, au contraire, les individus se trouvent plus proches des sources mêmes de la diffusion des connaissances. En écoutant la radio, en regardant la télévision, en lisant le journal et les bandes dessinées, les élèves emmagasinent tout un capital de savoir.
De coup, les enseignants, et, par eux, l’enseignement tout entier, sont placés devant un problème totalement neuf. Il s’agit moins de transmettre des informations et des connaissances que d’organiser celles que l’élève possède déjà, sous une forme plus ou moins complexe, certes, mais indiscutable. Le métier d’enseignant consiste davantage à être un guide qu’un simple diffuseur des différents savoirs. C’est à un véritable changement de rôle que les enseignants sont ainsi conviés.
Un autre problème se pose aussitôt. Les élèves ne viennent plus chercher à l’école la même chose qu’auparavant. À tort ou à raison, ils ont l’impression, grâce aux médias, d’être en relation avec l’actualité même de l’univers. Ils croient, comme on dit, « être au courant ». D’où leur jugement souvent très dur à l’égard de ce savoir que continue à leur transmettre l’institution scolaire.
Dans son livre Éducation à l’image et aux médias, René La Borderie voit dans l’éducation aux médias « l’une des conditions de formation de l’esprit critique et de développement de l’autonomie dans le monde de la communication, lequel nous promet – sans les diaboliser outré mesure – les plus fabuleuses situations de conditionnement que l’humanité ait connues. »
L’apparition des médias et de la culture de masse a fait naître, au cours du vingtième siècle, des attitudes d’opposition dont on a pu penser qu’elles étaient tout à fait nouvelles. La représentation que l’on se fait de l’influence des médias n’est plus la même après McLuhan : elle oscille entre deux visions opposées. D’un côté, les idéalistes considèrent que les médias sont neutres, capables seulement de faire circuler mieux et plus vite les messages – des opinions, des idées, des croyances -, sur le contenu desquels ils n’ont aucune prise. D’un autre côté, on cède à une sorte de déterminisme – ou de fatalisme -, selon lequel ces mêmes messages – par conséquent la culture, entendue largement, ses activités, ses œuvres – sont sous l’empire exclusive des médias, qui en déterminent unilatéralement le contenu et la signification.
Parce que de nombreux médias, et parmi les principaux, instituent une communication dont l’image est le véhicule, l’ensemble des mass-médias supporte la très vieille lutte qui a été menée contre les images. La manipulation à travers les images est très bien illustrée par la publicité. Nous sommes de plus en plus entourés par l’image, envahis par elle même. Elle est partout : dans nos rues, nos journaux et surtout sur notre petit écran. Une invasion qui fait de notre société celle de l’image, avec ses atouts et ses pernicieux côtés.
Le véritable problème n’est pas constitué par l’image elle-même, mais par le fait qu’elle nous influence tous sans distinction. À l’inverse du texte, elle ne laisse jamais insensible. L’image attire, captive, émeut et fait rêver. Elle se substitue au réel pour nous entraîner vers une autre réalité, un rêve qui nous sort d’un quotidien parfois insatisfaisant. Une insatisfaction dont elle est d’ailleurs bien souvent créatrice. Elle suscite des désirs et les publicitaires l’ont depuis bien longtemps compris. L’image publicitaire crée des envies que l’on confond avec des besoins, et nous pousse à consommer, à déraison souvent.
Un autre problème en ce qui concerne l’impact des médias sur l’individu concerne le fait que tous les médias développent des scènes de violence. Ils accordent une grande place aux bagarres, aux guerres, aux querelles, à la violence en général.
Parce que les principaux médias ont eu pour point commun de s’adresser à un public massif, et parce que la radio et la télévision touchent ce public au même instant, il s’impose le problème de la « massification » . Des millions de comportements identiques se trouvent donc produits sans que la volonté des consommateurs y soit pour quelque chose. C’est l’accusation d’uniformisation des loisirs, qui vise surtout la télévision, parce que celle-ci est, de loin, le plus fréquenté de tous les médias. La télévision a «passé un uniforme à l’imagination personnelle». Par elle, tous les individus s’adonnent à des loisirs identiques, oubliant ainsi leur originalité propre.
Outre ces procédés de persuasion, voire des méthodes de manipulation, les messages médiatiques traduisent une intention du côté de l’émetteur. Il y a le sens qu’il essaie d’imprimer à son discours (même s’il se présente comme un simple commentaire de l’image de la réalité) et qu’il veut faire partager. Ce sens, nous ne sommes pas forcés d’y adhérer, et nous pouvons l’interpréter différemment, encore faut-il être capable de le décrypter.
Chaque média impose ses propres règles. Chaque média suppose un mode de traduction du message (verbal, visuel, écrit, analogique, numérique…), des procédés de traitement et d’enregistrement, des possibilités d’expression et de contrôle, des capacités de modification et de diffusion de l’information, des codes, etc. qui lui sont propres. Chacun dépend de contraintes techniques (de temps, en particulier), chacun crée ses niches de pouvoir : le pouvoir de fournir instantanément des images à la planète sur les écrans de télévision n’est pas le pouvoir d’indexer sur Internet.
Soumis aux lois du marché, à la « recherche du profit maximal à court terme » , les médias ne mettent-ils pas la culture en péril? Conçus et réalisés avec le seul espoir de plaire au grand nombre les journaux, les films et les programmes de radio ou de télévision ne sont-ils plus que des « marchandises »? Des produits comme des autres, jetés aussitôt consommés, plutôt que des œuvres, préservées ou conservées parce qu’elles inspirent le respect ou l’admiration?
En ce sens, une enquête effectuée par André Mareuil dans la région de Tours indique que le temps consacré à la télévision et à la radio par les adolescents est toujours et de très loin supérieur à celui que l’on réserve à la lecture. L’influence des mass-médias demeure extrêmement forte, bien qu’elle soit en légère diminution : 68 personnages issus des mass-médias sont pris comme héros. André Mareuil écrit en guise de conclusion et de jugement que les médias «exercent une influence très forte, beaucoup plus importante que nous ne le pensions. Décisive même. Décisive car, lorsque ces jeunes consentent à livrer le nom des héros qu’ils rêvent d’imiter, ils les ont presque tous trouvés grâce à leurs postes.»
Informer est sans doute le premier rôle des médias. Il n’en reste pas moins que distraire et cultiver représentent deux autres missions que la société leur reconnaît volontiers. Se pose alors la question de la définition de la culture et du rôle culturel des médias. Le sociologue Jean-Claude Passeron nous aide à déchiffrer le sens de la culture lorsqu’il distingue entre culture-style, culture déclarative et culture-corpus. La culture comme style de vie est le propre de tous les groupes sociaux. La culture déclarative est celle qui parvient à se faire « théorie (mythe, idéologie, religion, philosophie) pour dire et argumenter tout ce que les pratiquants d’une culture lui font signifier en la revendiquant comme la marque de leur identité, par opposition à d’autres ». La culture comme corpus d’œuvres valorisées correspond aux faits de valeur artistique. Si l’on accepte ces distinctions, on est conduit à admettre que les médias sont des opérateurs culturels aux trois niveaux distingués. Ils participent à l’évidence de la culture-style puisque les pratiques culturelles sont « pleines » de pratiques médiatiques (de la lecture de la presse, jusqu’à la fréquentation des salles de cinéma en passant par la consommation de télévision). Ils contribuent largement à la culture déclarative en ce sens qu’ils actualisent quotidiennement les représentations dominantes ou minoritaires qui s’affrontent pour lire le monde. Ils servent, enfin, à valoriser certains faits qui seront retenus comme artistiques ou pas.
« Un homme averti en vaut deux », dit le proverbe. Qu’il s’agisse de la vie professionnelle ou de la vie sociale, l’information constitue un atout important pour l’homme qui veut réussir. Le rythme de la vie modern nous oblige à nous informer sans cesse pour ne pas être dépassés par les événements.
Parce qu’ils deviennent des véhicules de plus en plus importants de la communication sociale, les mass-médias pourraient être en mesure d’exercer une influence quasi monarchique sur l’existence sociale des individus. Ils façonneraient les opinions du public, et, donc, deviendraient un instrument redoutable aux mains de ceux, qui, pour des raisons diverses et claires, sont aujourd’hui « les maîtres des médias ». Les mass-médias sont en notre pouvoir, même s’ils exercent une influence sur nous. Nous ne sommes pas emprisonnés par eux, sauf, précisément, si nous nous laissons enfermer dans leur geôle. C’est pourquoi, au total, notre éventuel esclavage par les médias engagerait notre responsabilité, même si nous avons quelques excuses à faire valoir. Sachons, certes, que nous sommes en danger sérieux ; mais ne partons pas battus : les meilleures armés, à coup sûr, sont dans notre champs.
Bibliographie
1. Balle, Francis – Les médias, PUF, 2004
2. Bourdieu, Pierre – Sur la télévision, Liber Éditions, 1966
3. Kellner, Douglas – Cultura media, Institutul European, 2001
4. La Borderie, René – Éducation à l’image et aux médias, Nathan pédagogie, 1999
5. McLushan, Marshall – Pour comprendre les médias, Le Seuil, 1968
6. Porcher, Louis – Vers la dictature des médias?, Hatier, 1976
7. www.universalis.fr/encyclopedie/medias-sociologie-des-medias/3-les-medias-dans-le-champ-culturel/